Comment:
Conservé dans la même famille depuis 80 ans, ce paysage à la cascade est étonnant d'équilibre et de puissance, de poésie et de luminosité.
L'eau calme qui se transforme soudainement en torrent bouillonnant est caractéristique de la virtuosité de Ruisdael dans la représentation des mouvements de l'eau et de la lumière. La composition est séparée en deux, la véhémence de l'eau tourbillonnante de la partie inférieure répondant à la lumineuse clarté d'un ciel partiellement dégagé par le mouvement des nuages.
Entre les deux, des pêcheurs réalisés avec une extraordinaire minutie s'exercent, dissimulés par l'obscurité projetée par les arbres.
La richesse des feuillages et les jeux de lumières dans leurs masses parfois sombres, parfois lumineuse sont significatifs de l'art de Ruisdael. Le spectateur pénètre dans la toile, emporté par le bruissement de l'eau au premier plan et attiré au loin par la percée de lumière entre les arbres. Les habitations et le cavalier au fond du tableau rappellent la présence humaine en ces lieux où la nature semble être prédominante.
Ce format vertical, apportant une forte dynamique à la composition, devient plus fréquent chez Ruisdael dans les années 1670, période où se situe notre œuvre. Ces mêmes éléments sont réunis dans la 'Cascade dans un paysage rocheux', datée vers 1660-70 et conservée à la National Gallery de Londres (Fig.1). Dans le même esprit, l'eau agitée se heurte aux rochers formant une cascade à côté de troncs d'arbres coupés. Au second plan, une étendue d'eau paisible reflète les nuages qui occupent une majeure partie du ciel alors que les arbres dressés assurent la transition entre la terre et le ciel, qui se partagent de façon égale la surface de la toile. Ces compositions sont à l'origine de la nouvelle voix empruntée par le paysage hollandais après 1650.
Membre de la Guilde de Saint-Luc à Haarlem, Ruisdael a été formé dans la tradition du paysage tonal auprès d'artistes comme son oncle Salomon Van Ruysdael, Pieter de Molyn et Jan Van Goyen. Riche de cet héritage procurant une grande maîtrise technique, il a su imposer une vision nouvelle de la nature, jouant des effets de couleurs denses, illuminées par des accents vifs de blanc et de jaune clair. Des motifs nouveaux, comme les cascades rocheuses, apparaissent dans ses compositions, influencées par le peintre scandinave Allaert van Everdingen installé à Amsterdam depuis 1652. Ruisdael avait connaissance des peintures, dessins et gravures réalisés par Everdingen lors de son séjour en Suède et en Norvège. Cependant, les représentations de Ruisdael restent très inspirées par les différents voyages qu'il a lui-même effectués à partir de 1646. Ses expériences personnelles lui permettent de véritablement " composer " ses paysages et de donner ainsi une vision plus contrôlée de la nature où apparaissent personnages et architectures. Les œuvres de Ruisdael ont eu une influence profonde sur les artistes de la génération suivante, tels son élève Meindert Hobbema, Jan Van Kessel et Jan Vermeer Van Haarlem. Ruisdael fait partie de ces rares artistes dont les œuvres furent prisées de façon continue au fur et à mesure de l'histoire ; nous les trouvons dans les grandes collections du Siècle des Lumières ou encore - comme l'illustre la riche provenance de notre tableau - de part et d'autre de la Manche dans les importantes collections du XIXe siècle. Les artistes comme Constable, qui renouvelèrent le genre du paysage au début du XIXe siècle, furent marqués par la modernité du style de Ruisdael et par son rendu magique de la lumière tout comme nous le sommes nous-mêmes encore aujourd'hui en redécouvrant ce merveilleux paysage à la cascade.