Comment:
Le traitement de la corrida dans la peinture française du XIXe siècle est un thème assez rare pour rendre notre tableau de Gérôme remarquable. Le témoignage peu fréquent de cet art est d’autant plus paradoxal que la tauromachie est une pratique très ancienne qui pourrait dater du XIIIe siècle. Toutefois le corpus de tableaux traitant de ce sujet dans l’œuvre de Gérôme est très étroit.
Différents facteurs sont probablement à l'origine de cette thématique: Si Gérôme transite par l’Espagne pour se rendre à Alger en 1873, son unique voyage en Espagne date de 1883 et a sans doute inspiré son œuvre tauromachique. Cependant, sa grande rivalité avec Manet qu’il devait avoir fréquenté par des amis communs, tout comme son amitié avec Achille Zo et Mariano Fortuny qui était arrivé en France en 1866 l’ont sans doute fortement influencé.
En effet, si l’une des grandes icônes du XIXe siècle sur le sujet est sans conteste le tableau d’Edouard Manet représentant un Toréador mort (toile, 105 x 182 cm) conservée à Washington, National Gallery of Art (1864), l’œuvre de Gérôme recèle elle-aussi quelques chefs-d’œuvre du genre.
Outre trois grandes scènes panoramiques (Taureau et Picador, toile, 22 x 43 cm, collection particulière, L’entrée du taureau, panneau, 45 x 72 cm, collection particulière (fig. 1) et La fin de la corrida, toile, 48 x 85 cm, Vesoul, musée Georges-Garret) et un tableau perdu aujourd’hui (toile, 71 x 58 cm) mais connu par une photographie et une esquisse : Le Picador (toile, 28 x 24 cm conservée au Snite Museum of Art, Indiana), nous connaissons deux dessins représentant un Toréador (crayon, dimensions inconnues, non localisé) et une étude de toréador pour l’Entrée des taureaux (mine de plomb, 29 x 20 cm) conservé à Vesoul, musée Georges-Garret, que nous pouvons rapprocher de notre tableau par leur format et leur composition.
Notre tableau ne pourrait-il pas être le tableau perdu de Gérôme ainsi décrit par Fanny Field Hering dans son ouvrage, Gérôme, his life and works, New-York, 1892 (p. 36), « Un toréador adroit est proclamé « Roi de la Fête » par une foule joyeuse » ? Dans son catalogue raisonné de l’œuvre de l’artiste (Paris, 1986, p. 222, n° 179), Gerald Ackerman propose un dessin perdu (mais connu par une photographie) de l’artiste correspondant à cette description mais nuance en supposant que « cette composition perdue est peut-être plus proche du toréador de Fortuny, ami de Gérôme (National Gallery, Londres) ». En effet, la composition de Fortuny (toile, 61 x 50 cm) propose une mise en page assez proche de notre tableau : un matador presque seul saluant le foule dans un signe victorieux, habillé dans les mêmes couleurs que le nôtre.