"Moi les idées je m'en torche. "
- L.A.S., 4 p. In-12. El Goléa, vendredi 28 février [1948]. Signées Jean Dubuffet. Partant de Paris, quittant le froid et les restrictions., Jean Dubuffet répond à la lettre de Joë Bousquet tardivement et depuis le désert saharien d'El Goléa. Il le remercie de la publication de son livre de contes Le fruit dont l'ombre est la saveur publié aux Éditions de Minuit en 1947, contenant " L'invention du drapeau " et " La Rainette au noir ", deux contes qui lui sont dédiés précisément. Il décrit son installation dans l'oasis saharien, les impressions d'Afrique, les couleurs, les sons, la chaleur et la lumière… Très belle lettre amicale, une complicité sensible, un Jean Dubuffet peu connu. Lettre entièrement manuscrite, fait assez rare.
"Votre lettre m'a donné grande joie. Je l'ai reçue juste au moment que je quittais Paris, chassé par le froid. Plus une miette de combustible! Il fallut, précipitamment fuir. Donc je l'ai emportée, votre lettre, dans mes valises et l'ai avec moi dans ces sableux parages d'où j'écris. Que c'est gentil à vous d'avoir arrangé comme vous avez fait ces contes à J.D. et que je suis content ! Profondément ému, et profondément conscient de toute la signification et de toute la portée de cet événement, de toute sa gracieuse beauté, de tout son prix. Ce livre va m'être cher au-delà de tout ce qu'il m'est possible de dire et ensoleiller ma vie et mon travail pour tout le temps que j'ai à vivre. Les mots qui servent aux remerciements sont ici trop faibles et aussi n'en veux je formuler aucun [...] Je suis ici avec la gentille Lili qui est toute enchantée de ce lieu féerique, il nous a fallu plusieurs journées de voyage en autocar sur les pistes du désert pour y parvenir. " Il le remercie pour l'envoi de photographies de sculptures de bergers.
- L.T.S. 2 p. in-12. Paris, 3 août 1949. Signée Jean Dubuffet. 7 lignes manuscrites après la signature. Il lui envoie un tableau à rajouter à sa collection, ne veut pas être payé. Le portrait qu'il a fait de Bousquet est exposé à New York. S'inquiète de l'intérêt que porte Max Ernst à son œuvre. Travaille sur un petit album pornographique, dessins et texte. " Le texte est très imbécile… Moi je déteste les idées; je le trouve tellement creuses ! Je veux de l'art à la tête coupée… " Termine la lettre par ces lignes manuscrites : " je n'ai nulle exposition en projet. Je suis fatigué de faire des expositions qui ne recueillent qu'horions et insultes. Ce que veut l'européen c'est des idées. Autre chose que des idées il ne croit pas que ça mérite attention. Moi les idées je m'en torche. "
Provenance :
Joë Bousquet.