146
Antoine de SAINT-EXUPERY
Scénario inédit de film
Estimation:
€26,000 - €30,000
Sold :
€38,611

Lot details

Scénario inédit de film

"Huit heures à vivre… ce n'est pas un crime !"
Sans titre, vers 1940. 12 ff. in-4 et 1 f. in-12. Papier fin. Ecriture ronde assez lisible, bien horizontale. Peu de ratures. Traces de pliures en quatre, quelques rousseurs.
Saint-Exupéry et le cinéma. Bien qu'on sache que Saint-Exupéry n'appréciait guère le cinéma - ou alors en projet, en scénario : la trop évidente réalité de l'image dénaturait l'imaginaire du lecteur -, on lui connaît environ 8 scénarios, la plupart tapuscrits. Celui-ci est manuscrit et inédit. Outre Vol de nuit (1934, réalisation Clarence Brown) et Courrier Sud (1937, scénario de Saint-Exupéry) qui sont deux adaptations de romans publiés, Anne Marie est le seul scénario original (1935, film de Raymond Bernard). On sait qu'en dehors de deux autres non réalisés, Igor et Sonia (1940 ?), Saint-Exupéry en a rédigé d'autres. Celui que nous présentons, inédit, est l'un d'eux.
La vision cinématographique de Saint-Exupéry enfant sera encore exacerbée par son métier de pilote, qui lui donne encore plus l'envie de traduire les paysages et le monde en une nouvelle dimension : la vision neuve d'un monde contemplé d'en haut. Le cinéma offrait aux spectateurs cette perception immédiate des distances, de la nuit, des éléments. La violence des effets visuels mettait à la portée d'un public plus nombreux ce que les romans avaient tenté de saisir.
Dans ce scenario, l'action se passe également sur un bateau, ici rejoignant Lisbonne, et on rencontre à son bord une exploratrice amoureuse, suicidaire et malade de la peste, son amant malade également, des terroristes auteurs d'un attentat, la peste à bord… Et Felicio, terroriste arrêté par la police du pays qui refuse de livrer ses complices en fuite. La scène commence par l'arrivée de l'exploratrice. Les terroristes veulent aller à terre avant que Felicio parle. Un navire approche du port :
" "- Nous buvons à votre retour, à vos fiançailles, mademoiselle." A la conversation, on comprend qu'il est urgent pour eux de descendre dès le prochain arrêt. Ils lisent le dernier radio : "On a arrêté Felicio au moment où il se préparait à disparaître. Il refuse de faire connaître les noms de ceux qui ont organisé l'attentat terroriste du 9 septembre mais on espère que d'ici demain soir il aura parlé." - Il n'y a aucun homme dont on ne pourrait obtenir le silence. Mais il faudrait l'avoir sous la main. Rire sauvage. - Et à quelle heure arrivons-nous ? - A minuit. - Et à quelle heure débarquons-nous ? - A sept heures du matin. - Il faut débarquer à minuit dix même si c'est à la nage. Avant six heures nous aurons un radio… - C'est une question de minutes. Felicio parlera. Hein docteur ? - Oui… - On pourrait détruire le poste radio… - Ca ne servira à rien qu'à nous priver de nouvelles : ce sont les escales qui seront d'abord averties. "
L'exploratrice craint de perdre son amant et lui apprend qu'elle a la peste ; elle se suicide.
" Après le dîner : - Alors vous aller me quitter ? - Mon Dieu vous savez, en voyage, comme ça… ce sera un beau souvenir. Très beau. (il fume) mais vraiment je ne peux pas vous promettre de vous revoir beaucoup. - Docteur, j'ai peur, ne m'abandonnez pas. - Peur pour? Ah la la… - Oh oui, bien sûr, tant qu'on n'est pas malade on lutte. - Vous vous sentez malade ? - Oui… - Ce n'est pas fort, pour une exploratrice d'avoir le mal de mer. - Ce n'est pas le mal de mer. - C'est le mal d'amour. - Vous êtes cruel. - Nos destinées nous séparent. - Peut-être pas… - Vous savez… je suis arrivée au bateau dix minutes avant le départ. Je venais de traverser à cheval le Cayor en voiture . - Nom de Dieu ! - J'ai dormi là dans un village en attendant qu'on me trouve un réparateur. Dans la [case] de ce noir. Et le lendemain ce noir était mort. - Ah. - De la peste. De cette drôle de maladie. - J'ai compris qu'il y en avait beaucoup, beaucoup qui mouraient ainsi. Je n'ai pas osé en parler en arrivant à Dakar, on ne m'aurait pas laissé embarquer. - Ah… - Maintenant je sais ce que j'ai : j'ai la peste j'ai la peste. - Ah… - Et ça a l'air d'une maladie contagieuse elle me dit que les noirs mouraient. - Et tu as peur. - Pas de la maladie. Tu as vu ça… (il montre ses épaules)… de la quarantaine oui. Pas de la maladie, j'en ai vu d'autres, oui j'en ai vu d'autres. - Mais si on nous immobilise dans un port et seulement quarante huit heures, Felicio aura parlé. Eh, toubib, regardez donc ce qu'elle a ? - Elle ne voudra pas me voir, il y a le toubib du bateau. - On va savoir quand même. "
Elle est condamnée et ils le savent :
" Le toubib revient. - C'est bien ça. Ca ne sert à rien que je la soigne. Ca n'aidera rien. Elle sera morte demain matin. On ne pourra pas empêcher l'autre de savoir de quoi. - On ne pourra pas. - Il ne faut pas qu'elle meure sur le navire. - Il ne faut pas… - Huit heures à vivre… ce n'est pas un crime ! A minuit chez le commandant : - Et alors ? - A cet instant je l'ai vu enjamber la passerelle, et j'ai crié mais c'était trop tard. - Mais bon Dieu quelle raison avait-elle ? Quelle raison bon Dieu ! - Le docteur Feroux est loyal, monsieur, il peut vous le dire. - Commandant vous savez que mademoiselle X était ma maîtresse. Je serai franc. Je ne pouvais prévoir un tel dénouement mais j'accepte une part de cette responsabilité morale, je lui ai annoncé ce soir… annoncé que j'allais rompre. Et quand le docteur noir a dit qu'elle lui avait semblé fébrile malade, je préfère vous dire pourquoi : je lui avais dit que j'allais rompre. "
Passage de la plus grande importance sur le suicide de la femme et sur la culpabilité de l'amant qui veut mettre fin à ses jours : le suicide comme devoir.
" - N'est-ce pas, docteur ?, le suicide est une lâcheté. Un suicide par une femme c'est même violent. Est-il responsable de cette mort ? Non bien sûr ! Il n'est responsable de rien. Le suicide ne se comprend… que… que par exemple s'il sauve des compagnons. Alors oui. Que s'il défend une cause. Alors il est même non seulement excusable, mais je dirais même un devoir. N'est-ce pas messieurs ? - Bien sûr… - Mais un suicide pour une miss à moitié folle ! - Je crois que j'ai compris… (le docteur est très étonné de tout cela). Un silence. On donne. - Ah. Bien. Cher ami. A vous de faire le mort. - Je… je vais fumer une cigarette. - A tout de suite n'est-ce pas. - Bien sûr. - Dites donc entre amis. Ce n'est pas sérieux ça, il est malade ? - Il est d'une sensibilité ridicule, d'une sensibilité de jeune fille. Cet accident l'a bouleversé. Il me le répétait tout à l'heure encore : "En plus j'aimais cette femme. J'ai été fou… " alors ça le frappe ? - Vous avez tous été bien imprudents de le laisser sortir. Avec cette hantise on ne sait jamais… Je crains un malheur (il regarde sa montre). - Docteur j'ai le pressentiment d'un grand malheur. (il rentre). - Non non. On ne se suicide pas comme cela. - Je… non. Silence glacial. - Rex, j'ai à te ? parler. - Vous permettez docteur ? Ils sortent. - Alors ? Ils s'en vont le long du bastingage. Le notaire s'appuie à la rambarde, allume une cigarette, puis : - Fais-moi basculer si tu veux. Un silence. - Imbécile. Une main qui se pose sur son épaule, le secoue, puis peu à peu le tapote. - Imbécile… - Tu sais… on s'en tire quelquefois… nous débarquerons demain soir. Demain soir j'aurai du sérum. Je cacherai la maladie. Je te jure que j'aurai la force de le cacher… je me cacherai dans la cabine… tu mettras ça sur le compte de mon chagrin… personne ne saura rien… ou alors pousse moi tout de suite… - Imbécile… - Soigne moi, tu es médecin, mais je ne veux pas disparaître là (il montre le bouillonnement de la mer). Je tiendrai douze heures… - Essayons… L'important c'est que le navire arrive à quai. Enfin la nuit nous débarquerons. Mais si on sait la maladie avant, nous resterons en rade… - J'essaierai de tenir. "
Le bateau arrivera à Lisbonne, mis en quarantaine, les terroristes s'enfuiront par la mer.

Contacts

Eric BAILONI
Sale Administrator
ebailoni@artcurial.com

Absentee bids & telephone bids

Kristina Vrzests
Tel. +33 1 42 99 20 51
bids@artcurial.com

Actions