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Marcel PROUST
Portrait Jacques-Émile Blanche dédicacé à Paul Brach
Estimation:
€4,000 - €5,000
Sold :
€9,009

Lot details

Portrait Jacques-Émile Blanche dédicacé à Paul Brach

Vers 1919-1920, dédicacé en (avril ?) 1921-1922. Portrait par Jacques-Émile Blanche reproduit en héliogravure [14,8 x 9,4, feuille de 30 x 21 cm, à vue], encadré, portant cette belle dédicace de Marcel Proust à son ami :

" A Monsieur Paul Brach, cette vilaine héliogravure. Son ami Marcel Proust ".

Brach et Proust. Paul Brach (1893-1939) entre dans la vie de Proust à la fin de sa vie, dans cette période où, malade, le " Visiteur du Soir " (Morand) fréquente assidûment le Ritz et découvre le Bœuf sur le toit. Ensemble, ils sortent dans certains cafés interlopes ; le 15 juillet 1922, Brach emmène Proust dans un établissement où il risque de se battre en duel et où le " patron et le personnel avaient pris parti pour les maquereaux et les tapettes ". Poète et romancier, Brach publiera un roman, Gérard et son témoin, chez Gallimard, en octobre 1922, sur la recommandation de Proust, puis mourra prématurément en 1939 après avoir édité la Correspondance générale de Proust avec Robert Proust (1930-1936).

Célèbre portrait de Jacques-Émile Blanche, fait en 1892 (Proust a 21 ans), le plus connu et le plus juste de celui qui n'était pas encore l'auteur de La Recherche. Proust conservera ce tableau jusqu'à sa mort, en 1922. Le tableau de 1892 a été reproduit en héliogravure pour l'édition de luxe d'A l'ombre des jeunes filles en fleurs parue en 1920. Pour cette troisième édition, Proust (l'idée ne vient pas de Gallimard, contrairement à une idée reçue) voulut un tirage de luxe particulièrement soigné : limité à seulement 50 exemplaires hors-commerce, réimposés sur un très raffiné papier indian bible, protégés au moyen d'un portefeuille fermant par des rubans en soie, chaque volume étant accompagné de ce portrait en héliogravure et - surtout - de deux " placards ". Ces manuscrits joints au volume en font l'édition proustienne la plus convoitée des bibliophiles. " On intercalerait en effet dans chaque exemplaire plusieurs pages de mon manuscrit (non pas des fac-similés, mon manuscrit original lui-même) et aussi une héliogravure qu'on ferait d'après mon portrait par Jacques-Émile Blanche. Seulement, il coûterait excessivement cher (peut-être cinq cents francs l'exemplaire) parce qu'il faudrait tout réimposer et agrandir le format pour ne pas abîmer le manuscrit ", écrit l'auteur à Violet Schiff (2 juill. 1919, Corr., XVIII, p. 295). Et Pierre Berès de commenter : " C'est la seule édition contemporaine de Proust échappant à la banalité : conçue par l'écrivain dans un format inhabituel et sur un papier précieux, elle apportait aussi pour la première fois son effigie au public ".
Mais pourquoi avoir inséré en 1920 une effigie le représentant en 1891, soit près de trente ans plus tôt ? Si l'on se fonde sur ses déclarations, Proust n'aimait pas " cette vilaine héliogravure ", ainsi qu'il la qualifie dans cette dédicace à Brach. Auprès de Sydney Schiff, il dénigre cette " exécrable héliogravure de mon portrait par Blanche " (août 1920, Corr., XIX, p. 419) et regrette encore auprès de Gallimard qu'elle lui donne " l'air d'avoir un nez mou et noirâtre " (26 déc. 1919, Corr., XVIII, p. 566). Ce fut pourtant Proust qui décida de livrer au public son portrait réalisé quelque trente ans plus tôt. Par coquetterie ? Peut-être, mais aussi, sans doute, pour contrer les attaques qui reprochent au jury Goncourt de lui avoir décerné en décembre son prix, normalement destiné à " la jeunesse " autant qu'à " l'originalité du talent ". C'est alors qu'il diffuse une image la plus éloignée possible de celle du " vieillard cacochyme " que la presse donne de lui (Corr., XVIII, p. 573).

L'exemplaire de Brach démembré ? En avril 1921, Proust s'inquiète auprès de Gallimard de savoir si la souscription aux exemplaires de luxe des Jeunes filles en fleurs est encore possible : " un jeune homme que je connais un peu désire en souscrire un luxe, […] il payera n'ayez crainte car il est fort honnête et je crois de plus fort riche " (Corr., XX, p. 177). C'est en fait à Brach que, le 16 avril 1921 (idem, p. 184, n. 4), Gallimard fait porter un des 50 exemplaires de luxe, un de ces fameux volumes qui aujourd'hui font rêver les bibliophiles proustiens, en raison surtout des manuscrits qui y étaient insérés. De ces rarissimes exemplaires, seuls quelques-uns sont connus alors que d'autres ont été démembrés pour n'en garder que les " placards " manuscrits. A lire la dédicace du présent portrait, qui se réfère uniquement à l'héliogravure sans faire référence aux Jeunes filles en fleurs, on a, hélas, du mal à imaginer qu'il puisse s'agir de celui qui figurait dans l'exemplaire de luxe du roman ayant appartenu à Brach. Sans doute Proust a-t-il offert un second portrait dédicacé à son ami. Incidemment, notons que Brach possédait un autre portrait, dont la dédicace (" A monsieur Paul Brach, qui a su si bien rendre nouvelle la rime "argentine". Affectueux souvenir, Marcel Proust ", cf. vente Artcurial, 22 avril 2008, lot 443) semble se référer à un échange épistolaire de juin 1922 à propos de rimes (Corr., XXI, p. 252) et, partant, exclure la possibilité qu'il provienne, lui non plus, de l'exemplaire Brach des Jeunes filles. Découvrira-t-on un jour celui-ci ou du moins le portrait qu'il contenait ?
Les deux autres portraits que nous venons d'évoquer sont, en tous cas, les seuls apparus sur le marché et constituent, à ce titre, une rareté bibliophilique proustienne.
Rousseurs éparses, écriture légèrement passée.
Bibliographie :
Pyra Wise, " L'édition de luxe et le manuscrit dispersé d'À l'ombre des jeunes filles en fleurs ", in B.I.P., n° 33, 2002/2003, p. 75-98.

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