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Antoine de SAINT-EXUPERY
La Vérité
Estimation:
€12,000 - €15,000
Sold :
€15,444

Lot details

La Vérité

Très beau texte inédit sur la valeur de la vérité.
6 ff. autographes, paginés 1 à 6. Traces de trombones à l'angle sup. gauche ; léger manque. Titré "La Vérité" (p. 4).
Saint-Exupéry réfléchit d'abord sur les liens ambigus entre la simplification de la pensée et la vérité. "Si j'écrivais l'histoire […], j'écrirais : celle du gain des concepts", dit-il.
Partant de l'exemple de la science, Saint-Exupéry en vient à celui qui l'intéresse davantage, celui de la politique. Les physiciens ne "cherchent pas à comprendre le monde mais à l'exprimer" ; or, "dans certains domaines il est plusieurs façons de dire", et Saint-Exupéry de comparer la manière dont Einstein et Newton expriment le monde. De même, Hitler a une manière très particulière d'exprimer le monde, son régime arbitraire est très différent de celui de Louis XIV :
"Le drame chez Hitler n'est point que je sache dire pourquoi les allemands veulent se réunir, pourquoi l'homme abâtardi doit être fort, mais pourquoi - si je suis deux fois plus gros que mon voisin - je n'ai point le droit de l'écraser. Pourquoi (j'ai des exemples). Or il est évident que nous avons vécu dans le malaise et que le national socialisme a cherché à purger ce malaise - et l'a purgé, mais où vais-je loger un autre besoin dont j'ai besoin ? En fin de compte l'arbitraire de l'état. C'est l'arbitraire de l'état qui m'empêche d'assassiner. Le génie de Hitler est de mobiliser [?]. Et moi je préfère Louis XIV. Aucun rapport dans l'arbitraire. Il servait, lui, plus ou moins mal, avec plus ou moins de contradictions, une foi morale. Un langage, une religion qui nous offrait quelque crédit. Je me souviens de cette poésie de mon enfance : "vous voulez mon moulin, cher Frédéric II ? Vous ne l'aurez pas : il y a des juges à Berlin !" Il ne sauverait plus son moulin, il n'y a plus de juges à Berlin. Ainsi est ébranlé le royaume qui protégeait l'individu en lui permettant d'être. Il n'en est plus tiré que la commune mesure. Il est ramené à la fourmilière. Il n'y a plus d'individu mais le groupe"

Dans une partie plus narrative de son texte, Saint-Exupéry évoque la sagesse d'un "caïd rendant la justice" dans une vielle ferme du Maroc : "Il m'avait invité à m'asseoir à côté de lui. Et celui-là venait pour se faire rendre un œuf volé, certes, du bout du monde, - parce que la justice prime tout. Il avait dépensé cent fois le prix de l'œuf. Et j'aimais la vérité de ce patriarche." Cette sagesse du caïd est très belle :
"Bien sûr il est des préoccupations trop philosophiques pour nous plaire séduire bien sûr. Bien sûr il importe avant tout de cultiver son jardin, d'élever ses enfants et de leur transmettre un patrimoine - et d'être heureux. Bien sûr il s'agit d'être heureux et ceux-là ne me scandalisent pas qui cherchent humblement leur bonheur et nous disent " laissez-nous en paix avec tous ces mots qui font couler le sang des hommes... " Ceux-là aussi ont raison. […] On pleure à cause de cette cassade, de cette fissure. Les bijoux se perdent dans le sable, les enfants meurent - mais un peu plus loin on forge d'autres bijoux et de belles épousées accouchent d'autres petits d'hommes. Le peuple pleure et rit tout à la fois. Il en sort une sorte de murmure ou de cantique et l'autre n'écoutait que le murmure de ce cantique."
Notons que le titre primitif de Citadelle était Le Caïd ou Seigneur Berbère, et que des passages de ce très beau texte se retrouvent dans "La morale de la pente", rédigée fin 1930-début 1940.

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