" Un matin du mois de mai, vers dix heures, nous étions là, elle et moi : elle étendue, ou plutôt couchée sur cet arbre incliné, les mains jointes derrière son col, moi étendu par terre et baisant ses petits pieds nus, qu’elle tirait, l’un après l’autre, de leurs mules de velours cramoisi, à bordure de martre […]. Ses longs et lourds cheveux d’or étaient relevés au hasard, sans ordre. De longues mèches s’échappaient entre les dents du large peigne, comme les petites cascades qui filtrent entre les poutrelles d’un barrage, et roulaient sur sa robe et sur l’écorce du saule. Pour tout costume, elle portrait une robe de chambre, en cachemire bleu […]. Dans la pose gracieuse qu’elle avait prise, ses larges manches, retombant sur elles-mêmes, découvraient ses bras blancs, arrondis autour de sa tête comme les anses d’une amphore. Elle laissait errer sur le ciel tout bleu ses yeux aussi bleus que lui ; car sa beauté, n’est-ce pas ? était faite des tons les plus francs[1]. "
Le tableau de Théophile Poilpot, présenté au Salon de 1874, soit huit ans après la publication du roman d’Alexandre Dumas fils L’Affaire Clémenceau en 1866, s’inspire littéralement du texte et nous en offre la fidèle illustration.
La scène se passe au début du roman, alors que les amants se trouvent à Saint-Assise. Les amours de la belle Iza et du sculpteur Clémenceau seront de courte durée. La jeune femme est d’une grande beauté et très convoitée. Elle trompe son époux avec le Tout-Paris. Celui-ci la chasse mais ne peut l’oublier. Mais apprenant qu’elle est devenue la maîtresse de son seul ami, il finit par la tuer après une dernière étreinte.
Théophile Poilpot propose ici la représentation d’un sujet littéraire contemporain sans qu’aucune finalité d’illustration d’un projet d’édition le concernant ne soit connue. Poilpot réalise un ambitieux tableau de Salon, de grandes dimensions. Albert Besnard sera par contre sollicité en 1885 pour illustrer le roman d’Alexandre Dumas fils.
Près de vingt après 'Les Demoiselles des bords de Seine' (1857) de Gustave Courbet, Poilpot renouvelle les codes de la peinture réaliste. Alors que les yeux de Clémenceau sont fixés sur son épouse, le regard lointain d’Iza laisse présager l’issue tragique de leur relation.

1- Alexandre Dumas fils, L’Affaire Clémenceau, Paris, édition originale 1866, p. 186.