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Sapho, poétesse grecque et fondatrice de l'école de Lesbos au début du VIe siècle avant J.-C., préside la Maison des Muses, confrérie de jeunes femmes adonnées à la musique, à la poésie, à la danse et au chant.
Elle compose des odes musicales et écrits des poèmes d'amour dont quelques fragments sont parvenus jusqu'à nous. Eprise du jeune batelier de Mytilène, Phaon, et désespérée d'un amour sans retour, elle se jeta à la mer du haut du rocher de Leucade.
L'instant de sa mort interpelle les poètes, d'Ovide à Baudelaire mais aussi et surtout les artistes et particulièrement David et ses élèves qui célèbrent dans leurs œuvres le stoïcisme de cette femme qui se donne le droit de vie et de mort et selon les termes de Valérie Bajou " cherche à maîtriser sa vie jusqu'à la mort 1".
Quel sujet pouvait le mieux inspirer Gros qui peignit ce geste calme et déterminé du suicide de Sapho dans son célèbre tableau (Fig. 1) actuellement conservé au musée baron Gérard de Bayeux (huile sur toile, 118 x 95 cm.) et qui trente trois ans plus tard mettra lui-même fin à ses jours en se jetant aussi dans l'infini des flots.
Exposé au Salon de 1801, ce tableau attira particulièrement l'attention et la fatale acceptation du passage d'un monde connu à un monde inconnu est à l'origine de cette appréciation novatrice de la part d'un critique : " Il y a plus de poésie que de vérité dans ce tableau. La scène est romantique, la couleur idéale 2. "
Notre tableau est ainsi décrit dans le catalogue de la récente exposition de Montargis : " Vue de profil, un bras tendu vers le ciel, le regard levé, Sapho se donne au ciel et transcende son émotion amoureuse en une ultime victoire, celle de son mythe, qu'elle manifeste en reproduisant l'élan du 'Mercure' de Giambologna. Jamais elle n'a été aussi vivante 3. "
Sapho semble en effet s'envoler et rejoindre l'Olympe des Dieux plutôt que de tomber dans la mer, elle s'élève consciemment vers un absolu, celui d'un ciel léger et rêvé bien plus qu'elle ne chute dans les entrailles de la terre.
La date de 1801 proposée lors de l'exposition de Montargis permettait de considérer notre esquisse comme préparatoire à la célèbre composition conservée au musée de Bayeux.
Mesdames Sidonie Lemeux-Fraitot et Valérie Bajou reviennent aujourd'hui sur la datation de notre esquisse. Leurs analyses stylistiques de visu de l'œuvre les amènent à considérer notre esquisse comme un 'ricordo' des années 1825-1827.
1 - Valérie Bajou, " Le terrible envol ", in Au-delà du maître, Girodet et l'atelier de David, catalogue de l'exposition de Montargis, Paris, 2005, p.145
2 - L'amateur, " La matinée perdue ", in Journal de Paris, 30 Fructidor an IX, n° 360, p. 2168.
3 - Valérie Bajou, op. cit.