"Huit heures à vivre… ce n'est pas un crime !"
Sans titre, vers 1940. 12 ff. in-4 et 1 f. in-12. Papier fin. Ecriture ronde assez lisible, bien horizontale. Peu de ratures. Traces de pliures en quatre, qq. rousseurs.
Pour une datation et un historique du cinéma de Saint-Exupéry, cf. lot suivant (269).
Ce scénario est à rapprocher du scénario présenté sous le lot 269 : l'action se passé également sur un bateau, ici rejoignant Lisbonne, et on rencontre à son bord une exploratrice amoureuse suicidaire malade de la peste, son amant malade également, des terroristes auteurs d'un attentat, la peste à bord… Et Felicio, terroriste arrêté par la police du pays et refusant de livrer ses complices en fuites.
La scène commence par l'arrivée de l'exploratrice. Les terroristes veulent aller à terre avant que Luciano parle. Un navire approche du port :
"- Nous buvons à votre retour, à vos fiançailles, mademoiselle." A la conversation, on comprend qu'il est urgent pour eux de descendre dès le prochain arrêt. Ils lisent le dernier radio : "On a arrêté Felicio au moment où il se préparait à disparaître. Il refuse de faire connaître les noms de ceux qui ont organisé l'attentat terroriste du 9 septembre mais on espère que d'ici demain soir il aura parlé." - Il n'y a aucun homme dont on ne pourrait obtenir le silence. Mais il faudrait l'avoir sous la main. Rire sauvage. - Et à quelle heure arrivons-nous ? - A minuit. - Et à quelle heure débarquons-nous ? - A sept heures du matin. - Il faut débarquer à minuit dix même si c'est à la nage. Avant six heures nous aurons un radio… - C'est une question de minutes. Felicio parlera. Hein docteur ? - Oui… - On pourrait détruire le poste radio… - Ca ne servira à rien qu'à nous priver de nouvelles : ce sont les escales qui seront d'abord averties."
L'exploratrice craint perdre son amant et lui apprend qu'elle a la peste ; elle se suicide.
"Après le dîner : - Alors vous aller me quitter ? - Mon Dieu vous savez, en voyage, comme ça… ce sera un beau souvenir. Très beau. (il fume) mais vraiment je ne peux pas vous promettre de vous revoir beaucoup. - Docteur, j'ai peur, ne m'abandonnez pas. - Peur pour? Ah la la… - Oh oui, bien sûr, tant qu'on n'est pas malade on lutte. - Vous vous sentez malade ? - Oui… - Ce n'est pas fort, pour une exploratrice d'avoir le mal de mer. - Ce n'est pas le mal de mer. - C'est le mal d'amour. - Vous êtes cruel. -Nos destinées nous séparent. - Peut-être pas… - Vous savez… je suis arrivée au bateau dix minutes avant le départ. Je venais de traverser à cheval le le Cayor en voiture. -Nom de Dieu ! - J'ai dormi là dans un village en attendant qu'on me trouve un répare. Dans la [case] de ce noir. Et le lendemain ce noir était mort. - Ah. - De la peste. De cette drôle de maladie. - J'ai compris qu'il y en avait beaucoup, beaucoup qui mouraient ainsi. Je n'ai pas osé en parler en arrivant à Dakar, on ne m'aurait pas laissé embarquer. - Ah… - Maintenant je sais ce que j'ai : j'ai la peste j'ai la peste. - Ah… - Et ça a l'air d'une maladie contagieuse elle me dit que les noirs mouraient. - Et tu as peur. - Pas de la maladie. Tu as vu ça… (il montre ses épaules)… de la quarantaine oui. Pas de la maladie, j'en ai vu d'autres, oui j'en ai vu d'autres. - Mais si on nous immobilise dans un port et seulement quarante huit heures, Luciano aura parlé. Eh, toubib, regardez donc ce qu'elle a ? - Elle ne voudra pas me voir, il y a le toubib du bateau. - On va savoir quand même."
Elle est condamnée et ils le savent :
"Le toubib revient. - C'est bien ça. Ca ne sert à rien que je la soigne. Ca n'aidera rien. Elle sera morte demain matin. On ne pourra pas empêcher l'autre de savoir de quoi. - On ne pourra pas. - Il ne faut pas qu'elle meure sur le navire. - Il ne faut pas… - Huit heures à vivre… ce n'est pas un crime ! A minuit chez le commandant : - Et alors ? - A cet instant je l'ai vu enjamber la passerelle, et j'ai crié mais c'était trop tard. - Mais bon Dieu quelle raison avait-elle ? Quelle raison bon Dieu ! - Le docteur Feroux est loyal, monsieur, il peut vous le dire.- Commandant vous savez que mademoiselle X était ma maîtresse. Je serai franc. Je ne pouvais prévoir un tel dénouement mais j'accepte une part de cette responsabilité morale, je lui ai annoncé ce soir… annoncé que j'allais rompre. Et quand le docteur noir a dit qu'elle lui avait semblé fébrile malade, je préfère vous dire pourquoi : je lui avais dit que j'allais rompre."
Passage de la plus grande importance sur le suicide de la femme et de la culpabilité de l'amant qui veut mettre fin à ses jours : le suicide comme devoir.
"- N'est-ce pas, docteur ?, le suicide est une lâcheté. Un suicide par une femme c'est même violent. Est-il responsable de cette mort ? Non bien sûr ! Il n'est responsable de rien. Le suicide ne se comprend… que… que par exemple s'il sauve des compagnons. Alors oui. Que s'il défend une cause. Alors il est même non seulement excusable, mais je dirais même un devoir. N'est-ce pas messieurs ?- Bien sûr… - Mais un suicide pour une miss à moitié folle ! - Je crois que j'ai compris… (le docteur est très étonné de tout cela).Un silence. On donne. - Ah. Bien. Cher ami. A vous de faire le mort. - Je… je vais fumer une cigarette. - A tout de suite n'est-ce pas. - Bien sûr. - Dites donc entre amis. Ce n'est pas sérieux ça, il est malade ? - Il est d'une sensibilité ridicule, d'une sensibilité de jeune fille. Cet accident l'a bouleversé. Il me le répétait tout à l'heure encore : " En plus j'aimais cette femme. J'ai été fou… alors ça le frappe ? - Vous avez tous été bien imprudents de le laisser sortir. Avec cette hantise on ne sait jamais… Je crains un malheur (il regarde sa montre). - Docteur j'ai le pressentiment d'un grand malheur. (il rentre). - Non non. On ne se suicide pas comme cela. - Je… non. Silence glacial. - Rex, j'ai à parler. - Vous permettez docteur ? Ils sortent. - Alors ? Ils s'en vont le long du bastingage. Le notaire s'appuie à la rambarde, allume une cigarette, puis : - Fais-moi basculer si tu veux. Un silence. -Imbécile. Une main qui se pose sur son épaule, le secoue, puis peu à peu le tapote. - Imbécile… - Tu sais… on s'en tire quelquefois… nous débarquerons demain soir. Demain soir j'aurai du sérum. Je cacherai la maladie. Je te jure que j'aurai la force de le cacher… je me cacherai dans la cabine… tu mettras ça sur le compte de mon chagrin… personne ne saura rien… ou alors pousse moi tout de suite… - Imbécile… - Soigne moi, tu es médecin, mais je ne veux pas disparaître là (il montre le bouillonnement de la mer). Je tiendrai douze heures… - Essayons… L'important c'est que le navire arrive à quai. Enfin la nuit nous débarquerons. Mais si on sait la maladie avant nous resterons en rade… - J'essaierai de tenir."
Le bateau arrivera à Lisbonne, mise en quarantaine, les terroristes s'enfuiront par la mer.