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Marcel Proust
« Mes infinies tendresses » - L.A.S. inédite à son frère en Italie, 1918
Estimation:
€4,000 - €5,000
Sold :
€21,605

Lot details

« Mes infinies tendresses » - L.A.S. inédite à son frère en Italie, 1918

S.d., vers le 15 février 1918, lettre inédite envoyée à son frère Robert au front en Italie. 8 p. [26,6 x 18 cm, plié en 2], encre noire.
Le post quem est établi par différentes allusions : l’évocation de l’emploi de critique littéraire au Figaro qu’il a brigué suite au décès de Chevassu, mort le 15 janvier 1918, mais que Paul Hermant eut finalement ; les nouvelles que Proust vient de recevoir de son ami Maurice Duplay suite à sa lettre (il lui demande vers le 5 fév. 1915 : « Tu serais gentil par un mot d’une ligne de me dire (…) comment tu vas ainsi que ton vénéré Père. Tu ne doutes pas combien souvent ma pensée va vers lui et vers le vivant souvenir de ta chère Maman », Corr., XVII, n° 30) ; enfin sa relation de sa conversation avec l’Abbé Mugnier lors d’un dîner qui eut lieu chez la princesse Soutzo le 13 fév. 1918 (Cf. idem, l. 37 à l’Abbé, datée du 14 fév. 1918). Proust écrivit certainement à son frère au lendemain de cette soirée, encore surpris par l’impiété apparente de l’Abbé. A cette époque, Robert est en Italie : c’est la raison d’un si long compte-rendu des rencontres, de la proposition d’engager Lucien Daudet comme secrétaire et de sa demande d’embrasser « Marthe pour lui s’il peut le faire », car justement Robert est loin de son épouse. Par ailleurs, le papier employé (gris vergé au filigrane « IMPERIAL CENTURY » couronné) est identique à celui d’autres lettres de cette période (cf. Idem, l. n° 29, 34, etc.).
Les lettres de Marcel à son frère sont très rares, surtout en cette période de guerre. Le lieu d’envoi – le front italien – en fait un document encore plus rare.
Dans son soucis de donner de nouvelles à son frère, médecin-chef au front de l’Isonzo du 25 nov. 1917 jusqu’au mois d’avril 1918, Proust multiplie les sujets et énumère les gens rencontrés, les anecdotes entendues : ses préoccupations sur l’avancée de son travail et la fin de son livre (« le nombre de mes épreuves s’accroît au fur et à mesure, ce qui m’inquiète non pour ma vue mais pour la possibilité de terminer mon ouvrage »), sa santé et celle de sa maisonnée (« la maison va être un hôpital car nous attendons le mari de Céleste, atteint d’un état vague, qui est soit (…) le paludisme, soit de la tuberculose »), et les amis rencontrés récemment : dîner avec Lacombe, qui doit aller en Roumanie (« le trajet est assez dangereux, car on assassine beaucoup en Russie en ce moment »), nouvelles de leur ami d’enfance commun Maurice Duplay et de son père, et surtout de l’Abbé Mugnier, « dont l’esprit (l)’enchante toujours mais dont l’apparente impiété (l)’étonne ». Marcel rapporte quelques saillies du prêtre mondain : « Comme il est d’Eure et Loire, je lui racontais que la rue du St-Esprit, à Illiers, s’appelle , sur la fin, la rue du Dr Proust, il m’a dit “Monsieur votre père est la 4e Personne”. Comme il vient de célébrer (?) le mariage de la Princesse de Lucingue avec le fils Iswolski dont elle était la maîtresse, il m’a dit “Je les ai bénis, mais ils étaient déjà en Dieu depuis quelque temps.” Et c’est tout le temps ainsi. »
Mais Marcel n’oublie pas des mots tendres pour son « cher petit Robert » au front : « c’est déjà trop beau d’avoir eu ces mots de toi si inespérés, et si souvent relus », lui écrit-il, avant de compatir à sa situation : « Mon pauvre Loup, à côté de la vie que tu dois mener ce n’est rien » et de lui envoyer ses « infinies tendresses ».
Notons encore ces lignes sur la mort de proches, et leur difficile survivance : alors que le père de Duplay, « entièrement aveugle, supporte sa cécité avec le plus grand stoïcisme », Proust ne peut s’empêcher de penser à ceux qui ont disparu : « je ne peux pas (…) ne pas faire un retour poignant sur le passé quand je pense qu’à Evian notre pauvre papa craignait qu’à cause de la morphine il ne pût se tirer d’une fluxion de poitrine qu’il avait prise, et en tout cas des calculs tant hépatiques que biliaires que sa morphinomanie empêchait d’opérer. Or c’est lui (Duplay père) qui vit toujours, et papa, maman, Mme Duplay, plus jeune encore que maman, qui sont morts. Il est vrai que j’ai survécu à Caillavet et à combien d’autres. »
Riche lettre inédite, où défile une galerie de proches (son frère, ses parents, Lucien Daudet, Robert de Flers, Abel Hermant, Maurice Duplay, l’Abbé Mugnier, Marthe, Céleste, etc.) au milieu de la guerre.

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