Lettre du camp de prisonniers, après la découverte d’une tentative d’évasion.
Il souhaite ses « plus respectueux et tendres souhaits de fête » à son « bien cher Papa ».
Il relate ensuite les quelques incidents qui ont marqué les deux derniers jours : « Les Allemands ont découvert dans un mur un trou qui leur a paru déceler une tentative d’évasion de certains d’entre nous. Mais comme ils ignorent de qui il s’agissait, ils ont pris le parti de châtier tout le monde. Ils nous ont donc enfermés dans la chambre commune, sauf une heure par jour, et nous ont interdit le tabac et les journaux. En ce qui me concerne personnellement, ce régime me va fort bien. L’interdiction de sortir me détermine à travailler mon allemand et à relire la plume à la main l’Histoire grecque et l’Histoire romaine [Celles-là même dont nous retrouvons les notes dans son carnet de citations (voir lot suivant)]. J’aurais bien voulu écrire mes souvenirs de la campagne. Mais comme j’avais commencé de le faire à Osnabrück, les Allemands me les ont pris un jour de fouille. Je ne recommencerai donc pas ici, je les écrirai plus tard, en y ajoutant quelques petites choses… Quant à la privation de tabac, je m’en réjouis car elle va achever de me faire perdre l’habitude de fumer récemment prise, et d’ailleurs les cigarettes qu’on nous vend ici ne valent rien. En ce qui concerne les journaux, je m’explique fort bien que l’ennemi nous empêche de les lire maintenant où leur lecture nous réjouit tant, et pour cause. Il faudrait en effet avoir le caractère particulièrement élevé pour nous les donner tout de même, et on ne peut en conscience exiger que les Allemands aient une élévation de caractère supérieure à la moyenne de l’humanité. Aussi ne trouvons-nous là rien d’extraordinaire. Nous nous consolons amplement en pensant au motif qui les détermine à nous priver de nouvelles »…
Après avoir demandé des nouvelles de M. Boud’hors [lieutenant-colonel qui commandait le 33e R.I. à Douaumont] et de ses frères, et évoqué la mort de sa tante Ghesquière, il conclut : « Je fais revivre la mémoire de mon brave et excellent chef de bataillon le commandant Henri Cordonnier mort au champ d’honneur au nord de Verdun. Dans mon lamentable exil, c’est ma meilleure consolation de penser que les heures de l’Histoire autrefois écoulées et où j’ai eu l’honneur immense de prendre part sont pour quelque chose dans les heures qui s’écoulent à présent et où je ne suis plus rien »…
LNC, I, p. 261 à 263.