Trois lettres du front à sa mère.
12 décembre. Il est sorti des tranchées : « on nous a mis au repos à l’arrière pendant quelques jours avant de passer à un autre genre d’exercice. L’impression générale est que l’on va à très bref délai prendre l’offensive sur toute la ligne, et je vous assure que les Allemands vont nous sentir passer. En ce qui nous concerne (le 1er Corps), nous avions une fois déjà – il y a plusieurs semaines – failli partir, mais l’échec de Wailly nous a fixés sur place. Des régiments de réserve, les communiqués officiels vous l’ont appris, avaient perdu là pas mal de terrain et c’est le 1er Corps qui fut chargé de le reprendre et de le garder. Du reste le 33e n’eut pas à bouger. […] Pour la première fois depuis le 15 octobre j’ai pu dormir déshabillé et dans un lit. Cela nous fait un effet très bizarre d’être sortis de la zone dangereuse et de ne plus nous attendre à recevoir soudain une balle dans la peau ou à perdre un membre du fait d’un obus. L’arrêt des Russes ne doit ni nous étonner ni nous inquiéter. Si l’on voulait d’après leur Histoire définir leur caractère militaire on dirait qu’ils sont très lents et très tenaces. Encore une fois leurs ressources sont illimitées et celles de leurs adversaires s’épuisent peu à peu. Je vous accorde qu’on s’est trop hâté de célébrer leur triomphe : cela a causé à l’opinion publique une désillusion inutile. De même que l’on a le plus grand tort de parler de l’héroïsme des Belges, des millions d’hommes que l’Angleterre met soi- disant sous les armes, et de la famine imminente en Allemagne. La reprise de l’offensive de notre côté arrive exactement à son heure. Il faut se montrer confiants, résolus et patients. Depuis que la bataille de la Marne a montré la supériorité française, la guerre est décidée en notre faveur. Le reste est une question de temps et de sacrifices à consentir. Sachons, donc attendre et souffrir »…
22 décembre. « À l’offensive, pas bien loin d’avant mais plus près de Xavier [son frère]. Tout va bien. Mille affections ».
27 décembre. « Noël s’est passé pour nous au milieu d’une très violente canonnade, car de notre côté on a fait ces jours-ci de gros efforts pour percer la ligne ennemie et on a gagné pas mal de terrain. Par malheur, les Allemands sont très fortement retranchés, et on ne peut les chasser de leurs trous que grâce à une artillerie formidable. Il faut à celle-ci pas mal de temps pour rendre une zone intenable, et une immense consommation de projectiles. C’est ce qui explique la lenteur de nos progrès. Du reste, le 1er Corps est demeuré jusqu’à présent en réserve, et nous n’avons pas eu d’engagement jusqu’à cette heure sur notre nouveau terrain ». Le colonel Claudel l’a pris « comme adjoint. Ces nouvelles fonctions me plaisent beaucoup : d’abord à cause de leur importance, ensuite en raison de leur intérêt, car on voit beaucoup plus de choses que comme commandant de Compagnie. Cela m’a pourtant fait quelque peine de quitter ma 7e Compagnie. Je ne l’avais commandée que dans les tranchées mais elle m’y avait pleinement satisfait. En deux mois déjà, elle avait perdu sous mes ordres 27 tués et blessés, ce qui n’avait rien d’excessif. […] Les événements ne se précipitent certes pas. Les Russes continuent d’être empêtrés par leur manque de chemins de fer. Mais l’usure est à leur avantage. De notre côté, nul ne doute que l’offensive que nous prenons avec toute la sagesse et toute la résolution accumulées par des leçons nombreuses ne réussisse bientôt sur toute la ligne »…
LNC, I, p. 116 et 124.