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FIGURE EN BISCUIT DE PORCELAINE DURE DE SÈVRES DU XVIIIe SIÈCLE, VERS 1776
Modèle attribué à Josse-François-Joseph Le Riche (1741-1812), sous la direction de Louis-Simon Boizot (1743-1809)
Estimation :
60 000 € - 80 000 €
Vendu :
133 056 €

Description complète

FIGURE EN BISCUIT DE PORCELAINE DURE DE SÈVRES DU XVIIIe SIÈCLE, VERS 1776
Modèle attribué à Josse-François-Joseph Le Riche (1741-1812), sous la direction de Louis-Simon Boizot (1743-1809)

Représentant un portrait de l’Empereur Qianlong, nommé l’Empereur de la Chine, debout les mains jointes, vêtu d’un manteau de fourrure et d’une toque, sur une base carrée

Marqué en creux Bo pour Boizot et numéroté 7 ; coup de feu sur le poignet droit, la perle manquante au sommet de la toque, petits éclats sur la base

H. : 40 cm (15 ¾ in.)


Provenance :

Succession du peintre Johann Gottfried Steffan (1815-1905), Munich;

Puis par descendance jusqu'au propriétaire actuel ;

Collection privée suisse.


An 18th century Sevres hard-paste biscuit porcelain figure depicting a portrait of Emperor Qianlong,"l’Empereur de la Chine", circa 1776, the model attributed to Josse-François-Joseph Le Riche (1741-1812), under the direction of Louis-Simon Boizot (1743-1809)


À partir de décembre 1764, le secrétaire d’État de Louis XV, Henri Léonard Bertin (1720-1792), reçoit la tutelle de la manufacture de porcelaine de Sèvres dans ses attributions ministérielles.

 

Cette même année voit les Jésuites bannis hors de France. Soucieux de conforter la position des missions jésuites françaises en Chine, le ministre Bertin, par ailleurs sinophile, entretient une correspondance avec plusieurs pères jésuites installés en Chine et notamment le père Jean-Joseph Amiot (1718-1793), présent en Chine depuis 1740 et à Pékin depuis 1751 sur ordre de l’empereur Qianlong. C’est également dans les premières années de la décennie 1760 et sans doute sous l’impulsion de Bertin que la manufacture de Sèvres crée de nouvelles formes directement inspirées de porcelaines chinoises, s’éloignant provisoirement d’une Chine fantasmée (voir par exemple les vases connus aujourd’hui sous le nom de vases Indien, à fond bleu céleste, vente Sotheby’s, Londres, 3 juillet 2013, lot 38).

 

Pour accompagner sa politique diplomatique, le ministre Bertin commande en 1764 dix-neuf porcelaines à la manufacture de Sèvres « pour être envoyée en Chine », comportant sept vases, dix pièces de sculpture et deux pièces pour la toilette, pour un total de 4.560 livres. Il renouvelle des présents de porcelaines de Sèvres destinés à l’empereur Qianlong (1711-1799), en 1772, 1779 et 1786 (détaillés par Marie-Laure de Rochebrune, « Les porcelaines de Sèvres envoyées en guise de cadeaux diplomatiques à l’empereur de Chine par les souverains français dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », Extrême- Orient Extrême-Occident, 43, 2019, pp.81-92). 

Véritable échange à visée ethnographique, la correspondance entre Bertin et les pères jésuites en Chine est publiée par le père Amiot à partir de 1776 sous le titre Mémoires concernant l’Histoire, les Sciences, les Arts, les Mœurs, les Usages, etc. des Chinois par les missionnaires de Pékin. Amiot fait également parvenir à Bertin divers objets chinois : porcelaines dont un bol décoré d’un poème de la main de Qianlong, tissues de soie, instruments de musique et portrait de généraux chinois.

 

À la suite du décès du père Joseph Castiglione en 1766, l’empereur Qianlong appelle en 1773 le frère Guiseppe Panzi à Pékin afin qu’il occupe la fonction de peintre de cour.

 

Une lettre du père Michel Benoît (1715-1774) datant du 4 novembre 1773 relate l’introduction du frère Panzi auprès de l’empereur :

L’empereur, (…), fit suspendre le travail pour entreprendre son propre portrait. Il expliqua comment il voulait être peint, de face et non de biais, comme on le fait en Europe, il fallait que les parties semblables des deux côtés du visage paraissent également dans le portrait, de sorte que le portrait regarde toujours le spectateur. L’empereur nous fit approcher tout près de lui pour que le peintre pût le considérer à son aise. Le frère Panzi plaça son chevalet à huit pieds de l’empereur. Kien-Long fit remarquer certains faits auxquels il souhaitait que le peintre portât une attention particulière. Il fit remarquer qu’il avait sur son sourcil gauche un petit espace vide qui se voyait à peine. Il désirait que ce défaut fût représenté sur la peinture, car dit-il:

« c›est mon portrait qu›il peint, il ne faut pas qu›il me flatte. Il en est de même des rides de mon visage, il faut avertir le peintre de les faire paraître davantage. Il faut toutes les représenter et ne pas me faire paraître plus jeune que je ne suis. » (cité par Michel Beurdeley, Peintres jésuites en Chine au XVIIIe siècle, 1977, pp. 186-197 et Chao Ying Lee, « Les portraits du pères Amiot et de l’empereur Kien-Long dans les Mémoires concernant les Chinois, fruit d’une collaboration artistique entre Amiot et le peintre Panzi », in Art et amitié aux XVIIe et XVIIIe siècles en Europe, GRHAM, 2023, pp. 156-157).

 

En 1775 ou 1776, l’aquarelle du frère Panzi représentant le portrait de Qianlong est envoyée en France à Henri-Léonard Bertin. Ce portrait est confié par le ministre à la manufacture de Sèvres qui réalise une première peinture sur plaque de porcelaine peinte par Charles-Éloi Asselin. Elle est acquise par le roi Louis XVI en 1776 au prix de 480 livres. Cette plaque est mentionnée lors de l’inventaire dressé en 1791 à Versailles dans le cabinet d’angle : « Un tableau en Porcelaine représentant un turc, Empereur de la Chine dans sa bordure de bois sculpté et doré de 14 po[pouces] de haut sur 12 po[pouces] de large 600 [livres]. ». Cette plaque est aujourd’hui conservée au château de Versailles (cfr. Fig. 1). Le dessin de Panzi aujourd’hui perdu est aujourd’hui connu grâce à la gravure de Martinet, illustrant le frontispice du premier volume des Mémoires concernant l’histoire, les sciences, les arts… des Chinois par les missionnaires de Pékin (cfr. Fig. 2).

 

Au même moment, la manufacture royale de porcelaine réalise une figure en biscuit représentant un portrait de Qianlong, attribuée à Josse-François-Joseph Le Riche sous la direction de Louis-Simon Boizot.

Treize exemplaires sont vendus au prix de 72 livres par la manufacture de Sèvres au XVIIIe siècle à partir de 1776.

Le premier exemplaire est acheté le 10 août 1776 par Louise-Jeanne de Durfort de Duras, duchesse de Mazarin (1735-1781) (Arch. MNS, Vy 7, fol. 118 v°). Cette sculpture est mentionnée dans l’inventaire dressé après le décès de la duchesse de Mazarin en 1781, dans sa chambre à coucher de son hôtel quai Malaquais, décoré dans le dernier goût : « n° 64 : une figure en biscuit de Sève représentant un turc prisé 60 livres ». La description de cette figure est plus précise dans la vente aux enchères qui sera organisée le 10 décembre 1781 par Lebrun : « n° 177 Un Turc, les bras croisés, vêtu d’une longue robe fourée ; la tête couverte d’un bonnet de même genre. Hauteur 17 pouces, Largeur 7 pouces, y compris la cage de verre » (cfr. Fig. 3). Ce biscuit était placé sur la commode en laque, médaillon et plaques à fond vert de porcelaine de Sèvres par Joseph Baumhauer, livrée en 1769 avec une paire d’encoignures, l’ensemble aujourd’hui conservé dans les collections royales anglaises à Buckingham Palace. La figure de l’Empereur de Chine était dans la chambre de la duchesse de Mazarin accompagnée d’une garniture de trois vases dont l’un garni d’une pendule par Dutertre en porcelaine de Chine à fond bleu turquoise (identifiée par Sylvia Vriz, « Une exceptionnelle paire de vases de la collection du duc d’Aumont », L’estampille L’objet d’Art, décembre 2011, pp. 58-61), une grande bouteille en porcelaine de Chine bleu et blanc, deux lions bleu céleste et un magot en porcelaine du Japon (cfr. Fig. 4).

 

Un second exemplaire est acheté par la Reine Marie Antoinette dans le courant de l’année 1776, en même temps qu’une garniture de trois vases, chinois à 3000 livres, aujourd’hui identifiée comme une garniture de trois vases œufs décorée de chinoiseries par Lécot et conservée au château de Versailles. (Arch. MNS, Vy 6, fol. 208 v°). La même année, Madame Adélaïde, une des tantes de Louis XVI, achète également un Empereur de la Chine (Arch. MNS, Vy 7, fol. 128). Trois figures de Qianlong sont vendues comptant à des acheteurs anonymes en décembre 1776 (Arch. MNS, Vy6, f° 118-120-130). Les exemplaires suivants sont vendus au prince de Croÿ accompagné d’un pied à 48 livres le 23 mai 1777 (Arch. MNS, Vy 6, fol. 186), au marchand Grouet, dans le premier semestre de l’année 1777 (Arch. MNS, Vy 6, fol. 223)., à la comtesse d’Artois, à Versailles, le 28 décembre 1777 (Arch. MNS, Vy 6, fol. 246 v°), à madame de Durfort, le 11 décembre 1777 (Arch. MNS, Vy 7, fol. 111 v°), à un acheteur anonyme au comptant le 16 décembre 1778 (Arch. MNS, Vy 7, fol. 58), au comte Ponte de Scarnafis, ambassadeur de Sardaigne le 27 avril 1779 (Arch. MNS, Vy 7, fol. 137), à un acheteur anonyme au comptant le 26 mai 1779 (Arch. MNS, Vy 7, fol. 144).

Le 26 mai 1779, le roi Louis XVI achète une seconde plaque en porcelaine ainsi décrite : « 1 tableau de l’Empereur de la Chine porté sur le compte du Roi par ordre de Mr de Bertin » pour 480 livres (Arch. MNS, Vy7, f° 178r°). Elle est envoyée à Amiot en Chine en même temps qu’une figure en biscuit de l’empereur Qianlong qui les remet au frère Panzi. Amiot écrit en novembre 1784 à Bertin : « Je me suis informé auprès de M. Panzi de l’usage qu’il avoit fait de la statue en pied de l’empereur, et du portrait peint sur porcelaine de ce prince. Il m’a répondu qu’il garde la statue dans sa chambre et qu’il ne se rappelle plus de ce qu’est devenu le portrait. Il me prie de vous faire bien des excuses de sa part » (Paris, bibliothèque de l’Institut, Ms. 1516, cité par Chao Ying Lee, op. cit., p. 154.

 

En 1785, l’ancien ministre Bertin acquiert personnellement une troisième plaque montrant l’empereur de Chine pour une somme moins élevée de 192 livres (Arch. MNS, Vy9, fol. 252, v°, mentionné par Marie-Laure de Rochebrune, La Chine à Versailles. Art et diplomatie au XVIIIe siècle, catalogue d’exposition, Château de Versailles, 27 mai - 26 octobre 2014, p. 176.

 

Aujourd’hui, seuls trois autres exemplaires de l’Empereur de la Chine en biscuit de Sèvres sont publiés. L’un est conservé au musée des Arts décoratifs de Paris provenant du legs Adèle Michon en 1923. Un autre aujourd’hui conservé au Museum of Fine Arts de Boston, provient des anciennes collections Wilfred A. Sainsbury (Sotheby’s, Londres, 28 novembre 1967, lot 70), Antique Porcelain Company, New York puis Kiyi et Edward M. Pflueger, reproduit par Hugo Morley-Fletcher, The Pflueger collection, Londres, 1993, pp. 76-77. Un troisième exemplaire est récemment passé en vente publique (vente Auctie’s Paris, le 28 mai 2024).

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