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Pierre Paul RUBENS Siegen, 1577 – Anvers, 1640
Les miracles du bienheureux Ignace de Loyola
Estimation :
500 000 € - 800 000 €
Vendu:
629 760 €

Détails du lot

Les miracles du bienheureux Ignace de Loyola
Toile

The miracles of the blessed Ignatius of Loyola, canvas, by P. P. Rubens

28.74 x 20.07 in.

51 cm x 73 cm
Provenance :

Collection du commanditaire Pietro Maria Gentile (1589/1590-1662) à Gênes ;

Vente par la famille Gentile entre 1811 et 1818 ;

Vente anonyme ; Londres, Phillips, 3 mai 1823, n° 73 (ainsi décrit "Rubens. Our Saviour (sic) curing one possessed of an evil spirit, a sketch for the famous picture in the church of the Annunciation (sic) at Genova – this celebrated study was in the possession of the Gentile family at Genoa") ;

Collection Marie Berthe Cabany avant 1874 ;

Collection Raoul Cabany, Paris, 1874 ;

Puis par descendance ;

Collection particulière de l'Ouest de la France

Expositions :

Rubens a Genova, Gênes, Palazzo Ducale, 6 octobre 2022-5 Février 2023, catalogue sous la direction de Nils Büttner et d’Anna Orlando, Electa, Milan, 2022, pp. 368 à 373

Bibliographie :

Description des beautés de Gênes et de ses environs, Gênes, 1768, p. 33 ;

G. Brusco, Description des beautés de Gênes et de ses environs, Gênes, 1773, p. 47: «Une ébauche du tableau de St Ignace par Rubens, dont l’original est aux jésuites»;

C. G. Ratti, Instruzione di quanto può vedersi di più bello de Gênes, 1780, p. 121: «S. Ignazio operante miracoli, sbozzo della tavola d’altare che vedesi nella chiesa di S. Ambrogio, del Rubens»;

Description des beautés de Génes et de ses environs, Gênes, 1781, pp. 35-36: «Une Ebauche du tableau de S. Ignace par Rubens, dont l’Original est aux jésuites» ;

Description des beautés de Génes et de ses environs, Gênes, 1788, p. 59 : au «Troisiem Sallon», «Un Ebauche du tableau de S. Ignace par Rubens, dont l’Original est aux Jesiutes» ;

W. Buchanan, Memoirs of Paintings With A Chronological History of The Importation of Pictures by the Great Masters Into England Since the French Revolution, Londres, 1824, II, p. 103, pp. 129-130, p.140, lettres de James Irvine à William Buchanan ;

John Smith, A catalogue raisonné of the works of the most eminent Dutch, Flemish, and French painters, IX, Londres, 1842, p. 337 ;

Max Rooses, L'Œuvre de PP Rubens. Histoire et description de ses tableaux et dessins, Anvers 1886-1892, II, 1888, p. 293 ;

Hans Vlieghe, Corpus Rubenianum Jacob Burchard, VIII Saints, 1972-1973, II, n°116-a p.80 ;

P. Boccardo, Un avveduto collezionista di pittura del Seicento: Pietro Maria Gentile. Un inventario, un Reni inedito e alcune precisazioni su altre opere e sull’esito di una quadreria genovese, in Studi di Storia dell’Arte in onore di Denis Mahon, a cura di M. G. Bernardini, S. Danesi Squarzina, C. Strinati, Milan 2000, pp. 212-213 ;

P. Boccardo, C. Di Fabio, Pietro Maria I Gentile (ante 1590 – post 1652), in L’Età di Rubens. Dimore, committenti e collezionisti genovesi, catalogo della mostra di Genova a cura di P. Boccardo e A. Orlando, Milan 2004, p. 379 ;

G. Martin, Rubens a Genova’s review in “The Burlington Magazine” 164, December 2022, pp. 1276-1277 ;

A. Orlando, Tre Rubens genovesi. Nuovi dati di provenienza per il modelletto Pallavicino-Gentile, il San Sebastiano Spinola e la Sacra conversazione Balbi, in Itinerari rubensiani: la centralità dell’immagine del sacro, atti del convegno, Università di Genova, 19-20 gennaio 2023, in c.d.s. (Genova 2024) ;

A. Orlando, Committenze illustri dei Pallavicino di Genova a Rubens e Van Dyck in I Pallavicino di Genova. Una stirpe obertenga patrizia genovese nella storia d’Europa e del Mediterraneo, a cura di A. Lercari, in c.d.s (Genova 2024)

Commentaire :

Notre tableau est le modello1 de présentation envoyé par Rubens à Gênes depuis Anvers pour être approuvé par Pietro Maria Gentile, le commanditaire d’un grand retable destiné à l’église du Gesù à Gênes, où il est toujours en place.


Rubens a tout au long de sa vie entretenu des rapports d’affection particuliers avec la ville de Gênes et avec ses grandes familles patriciennes et marchandes, qui comptent parmi ses principaux mécènes2 . Anvers et Gênes sont deux ports qui ont des liens commerciaux et toutes deux, après des années de guerre, retrouvent la paix et parviennent à l’apogée de leur prospérité, devenant chacune un creuset artistique et un lieu d’échanges intenses et d’inspirations multiples. Lors de son voyage en Italie, en tant que peintre de la cour de Vincenzo I Gonzaga, duc de Mantoue, Rubens fait halte dans la capitale ligure à plusieurs reprises entre 1600 et 1607. Comme dans les autres villes de la Péninsule qu’il a visitées, il copie, enregistre toutes les œuvres qu’il voit des maîtres anciens et contemporains3, visite les palais et les collections d’art. Il a ainsi l’occasion d’entamer des relations directes et parfois très étroites avec les aristocrates les plus riches et les plus influents de la cité, reçoit des commandes de portraits et de tableaux religieux4. Sa monumentale Circoncision (1605), financée par Marcello Pallavicino, prend place sur le maître-autel de l’église du Gesù et aux cotés de retables de Cambiaso (1575), Barrocci (1596), Vouet (1622) et Guido Reni.


Notre peintre rentre et s’installe définitivement à Anvers en 1608, où il s’impose immédiatement comme le plus grand peintre de la ville, au rayonnement international, recevant des commandes des principales cours européennes.


La commande de Pietro Maria Gentile

 

Pietro Maria Gentile (1589/90 - 1662) est encore un jeune garçon lorsque Rubens séjourne à Gênes. Orphelin de père très jeune, il fait preuve d’un sens commercial développé, à tel point que son oncle Geronimo Di Negro (associé de Nicolo Pallavicino) l'engage et lui confie des missions sur les marchés de Madrid et d'Anvers. Il s'enrichit rapidement. Il peut bientôt acheter plusieurs propriétés voisines, les fait démolir pour construire sa demeure en front de mer au-dessus du port antique. Son palais donnait directement sur la mer, près de la place du Caricamento5. Il y abrite une riche collection qui comprend des chefs-d’œuvre de Guido Reni, Guerchin, Orazio Gentileschi (Sacrifice d’Isaac) … Vingt ans après notre toile, il reçoit deux tableaux mythologiques de Rubens représentant Hercule et Déjanire et Hercule dans le jardin des Hespérides, aujourd’hui à la Galleria Sabauda de Turin.

 

Pietro Maria Gentile avait épousé la fille de Nicolo Pallavicino vers 1612. Ce dernier est particulièrement proche de l’artiste Pierre Paul Rubens qu’il a connu à Gênes lors de son séjour et à qui il a commandé un grand nombre d’œuvres dont son portrait. Lors de l’exposition à Gênes « Rubens a Genova » en 2022-2023, la commissaire de l’exposition et historienne de Gênes, Anna Orlando, qui a travaillé sur les relations entre l’artiste et les collectionneurs génois, a révélé un document d’archive montrant que l’artiste Pierre Paul Rubens avait demandé à Nicolo Pallavicino d’être le parrain de son fils « Nicolo ». Malade et âgé, le parrain avait alors délégué à l’un de ses collaborateurs le soin de le représenter à la cérémonie du baptême par le mandat qui a été présenté lors de l’exposition. Et c’est Nicolo Pallavicino qui finança la construction de l’Eglise de Gesù où l’on peut voir l’œuvre de Rubens Les miracles du bienheureux Ignace, à quelques pas du Palazzo Ducale de Gênes et dont l’esquisse a été commandée et conservée par Pietro Maria Gentile.


En 1619, Pietro Maria Gentile commande au maître anversois les Miracles du Bienheureux Ignace de Loyola destiné à l’église du Gesù ; dans la chapelle de son beau-père, mort cette année-là. Il garde le modello dans sa collection. A cette date, Rubens travaillait ou venait de terminer un grand retable de même sujet pour la maison professe des Jésuites d’Anvers, aujourd’hui au Kunsthistorisches Museum à Vienne. Pour Gênes, l’artiste réinvente complétement la composition.


A son habitude, il a peint une première ébauche de mise en place dans une première pensée sur panneau de chêne, peut-être celle aujourd’hui conservée à la Dulwich Picture Gallery à Londres6. Il a ensuite repris son projet pour ce « modello de présentation », plus fini, sur toile. Après sa présentation à Gênes en 2022, le tableau a été nettoyé. Depuis, Nils Büttner a revu l’œuvre et nous a indiqué́ dans un mail en date du 15 juillet 2024 : « il doit être considéré comme l'œuvre de Rubens qui a été envoyé par Rubens comme modello.


En réalité, comme l'a bien montré notre exposition, la qualité de son exécution est bien supérieure à celle de l'esquisse de Dulwich. Comme la plupart des œuvres issues de l'atelier de Rubens, toutes les parties de ce tableau ne sont pas de sa main, mais « Rubens avec la participation de l'atelier » est une description exacte, car je crois pouvoir reconnaître sa main dans certaines parties ». En effet, les accroches de lumière, les touches d’or étincelant sur la chasuble, les rehauts de blanc ailleurs, certains empâtements modelés, la construction des plis, la fluidité du pinceau témoignent de la vigueur de sa touche bien reconnaissable.


L’iconographie du retable


Installée à Gênes depuis le XVIe siècle, la Compagnie de Jésus aménage l’ancienne église de San Ambrogio sur le modèle de l’église du Gesù à Rome. Leurs riches bienfaiteurs s’adressent aux meilleurs artistes du temps pour la décorer, dont Rubens pour le maître-autel en 1606.

Figure clef de la Contre-Réforme et de la lutte contre les protestants, on prête à Ignace de Loyola (1491-1556) de nombreux miracles et des exorcismes de foules lors de ses messes. Le saint est ici représenté debout, devant l’autel, les bras tendus en signe d’apaisement : il est le pivot de la composition, intercédant entre le peuple et le ciel. Les bénéfices de sa prière ne tardent pas à se manifester et le spectateur assiste à trois miracles. Devant une balustrade, une femme possédée, la bouche grande ouverte, la tête en arrière, tirant sur ses longs cheveux, est soutenue par un homme vu de dos ; une autre implore sa guérison les mains jointes. Au centre, une jeune femme protège de ses bras ses trois enfants terrifiés ; telle une allégorie de la Charité, elle est aussi une allusion au rôle de saint Ignace d’intercesseur dans les naissances difficiles. Devant elle une mère est stupéfaite et émerveillée par la résurrection de son fils, posé sur le drap funéraire et qui lève une main. A l’extrême droite, une vieille lavandière dont le bras était desséché, en retrouve l’usage et le montre en tendant un linge.


Au niveau médian, le saint est accompagné de quatre jésuites, représentés à sa droite. Au-dessus deux angelots volent, portant une couronne de laurier et un palmier, symboles de la victoire et, pour les premiers chrétiens, du martyre, une allusion à l’aspiration missionnaire de la Compagnie de Jésus et à la gloire de l’ordre fondé par Ignace (qui n’est pas mort en martyr).


On note d’importantes variantes entre notre modello et le grand format définitif. La place des figures dans la frise au premier plan est similaire. Seules changent, à droite, la position de la mère tenant son enfant au sol, ce dernier allongé dans l’autre sens, et l’introduction d’un vieillard implorant. Le peintre a aussi modifié les couleurs de certains vêtements. Dans la version finale, le corps et le visage d’Ignace de Loyola sont tournés vers le ciel, en extase, et il n’a plus le geste de bénédiction vers le groupe des laïcs à gauche. Il est désormais accompagné de deux clercs en robe blanche. De même, l’architecture ébauchée sur notre toile a été décrite précisément et l’ampleur du rideau élargie. Ces changements montrent une adaptation de l’artiste aux proportions du retable ; il a dû alors combler certains espaces laissés vides par l’agrandissement de son projet.


Le retable, installé en 1620, concentre plusieurs enjeux importants, celui de la canonisation à venir d’Ignace de Loyola (1622), de l’importance des Jésuites tant à Anvers qu’en Italie, fer de lance de la Contre-Réforme. Rubens crée une iconographie nouvelle, militante, incorporant des références classiques (Raphaël, la Transfiguration, Véronèse, Caravage), dans un style baroque nouveau et pionnier à cette date. Il mêle des détails réalistes presque triviaux (par exemple les pieds sales au premier plan), à la grande tradition de la Renaissance, les groupes de figures étant unis par une lumière dorée qui irradie l’ensemble. Son influence sur l’évolution de la peinture d’histoire se révèle déterminante, tant sur la génération des artistes réalistes et baroques génois (Fiasella, Strozzi, Puget) que plus tard sur la génération romantique. Le tournoiement des formes, le scintillement des lumières comme celle des vêtements évoquent déjà les grands formats de Delacroix.

 


L’histoire de la redécouverte



Ce « modello de présentation » est resté entre 1619 et le début du XIXe siècle dans la famille de Pietro Maria Gentile et a été transmis à ses descendants qui l’ont conservé dans les galeries du palazzo Gentile. On retrouve sa présence grâce aux ouvrages sur Gênes et ses trésors rédigés par Giacomo Brusco et Carlo Giuseppe Ratti à la fin du XVIIIe siècle (op. cités supra). Dans l’édition de 1788 de son livre sur Gênes, Ratti mentionne sa présence au troisième salon. Au tout début du XIXe siècle, le grand marchand d’art anglais William Buchanan manifeste son intérêt pour cette ébauche auprès de James Irvine courtier en art présent en Italie à cette époque. Dans son livre Memoirs of Painting publié en 1824, Buchanan dévoile à trois reprises des correspondances au sujet de la collection Gentile. Dans un courrier du 25 octobre 1802 à William Buchanan, James Irvine explique ses démarches pour tenter d’obtenir la vente de certains tableaux de la collection Gentile dont l’« esquisse terminée » de Saint Ignace qu’il décrit comme une « chose charmante ». L’œuvre est présentée dans une vente Philips du 3 mai 1823, lot 73. En 1875, on retrouve l’œuvre mentionnée dans un inventaire, état liquidatif du 24 janvier 1875 de la succession de Madame Marie Berthe Cabany décédée le 27 novembre 1874. L’œuvre revient dans ce partage à son fils Raoul Cabany puis sera transmise par succession jusqu’au propriétaire actuel.  


Il s’agit donc là d’une redécouverte importante d’une œuvre qui a disparu depuis 200 ans et qui est restée jusqu’à aujourd’hui pendant au moins 150 ans dans une collection d’une famille française.


[1] L’italien a développé plusieurs notions qui recouvrent le terme généraliste d’esquisse dans la langue française : schizzo (ébauche de premier jet), bozzetto (esquisse de travail du peintre), modello (modèle-maquette), ricordo (reprise de petit format postérieure à l’exécution du tableau).

[2] En 1622 encore, Pierre Paul Rubens publie les Palazzi di Genova, un recueil d'estampes illustrant l’architecture des somptueux palais génois.

[3] A Gênes, il peut voir des œuvres de Caravage (la Judith et Holopherne de la collection Mattei), des Carrache et il rencontre Orazio Gentileschi.

[4] Le Portrait équestre de Giovanni Carlo Doria (Gênes, Galleria Nazionale di Palazzo Spinola).

[5] Aujourd’hui en centre-ville, à quelques pas de la cathédrale San Lorenzo et du Gesù.

[6] 7 Julius S. Held, The oil stetches of Peter Paul Rubens A critical Catalogue, 1980, The National Gallery of Art, Princeton University Press, volume 1, p.566-568, n°411, repr. volume 2, plate 400.

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