Commentaire :
Debout dans une attitude frontale, les poings serrés, vêtu du pagne 'shen djyt' égyptien, Moïse, encore jeune enfant, foule au pied la couronne (aujourd'hui manquante) et l'écharpe de pharaon.
Ce sujet inspiré des 'Antiquités judaïques' de Flavius Josèphe (II,7), rarissime en sculpture, a connu une période de gloire dans la peinture italienne de la seconde moitié du XVIIe siècle. Remis au goût du jour à la Renaissance, les antiques égyptiens sont sous les feux des projecteurs à Rome, ville où les obélisques jalonnent l'espace depuis son passé impérial et sont réintégrés dans une politique urbaine par le pape Sixte V. L'inauguration de la fontaine de la Piazza Navone surmontée de l'obélisque de Caracalla qui fut commanditée au Bernin constitue une étape décisive dans l'intérêt pour l'art égyptien. Cette grandiose installation ainsi que la publication de l'ouvrage 'Oedipus Aegyptiacus' d'Athanasius Kircher expliquant les mythes égyptiens réveillent, tout autant qu'ils révèlent, l'engouement pour cette thématique au milieu du XVIIe siècle. Nicolas Poussin est le premier à consacrer un cycle complet à 'l'Histoire de Moïse', personnage biblique le plus éloquent pour servir à une représentation mythologique égyptienne. La scène de Moïse tout jeune enfant foulant au pied la couronne de pharaon (huile sur toile, vers 1645, 92 x 128 cm, Paris, musée du Louvre, inv.7273) ouvre la voie à une iconographie reprise dans la peinture baroque italienne de la seconde moitié du XVIIe et de la première moitié du XVIIIe siècle (cf. Pietro Berettini, huile sur toile, 212 x 142 cm, Toulouse, musée des Augustins, inv. 2004 1 54).
L'action du foulage de la couronne s'inscrit habituellement dans une scène plus vaste, où la mère de Moïse, fille de Pharaon, protège son enfant du courroux du hiérogrammate figuré une arme à la main. Sa traduction en sculpture est sans doute à corréler avec une imitation de la représentation des rois lagides, des représentations d'Alexandre le Grand et de ses successeurs en pharaon. Le portrait colossal en marbre d'Antinoüs en dieu Osiris réalisée vers 134 de notre ère et découvert en 1739 près de la villa Hadrien à Tivoli (marbre, H. 241 cm, musée du Vatican, inv. 22795), transportée au musée du Vatican en 1742 connut une immense popularité auprès des artistes en séjour à Rome (cf. Hubert Robert, 'Les Antiques du musée du Vatican', dessin à la sanguine, musée de Valence).
D'une manière synthétique et efficace, cette ronde-bosse allie harmonieusement composition antique et effet dramatique d'un baroque maitrisé. La posture traditionnelle des pharaons a été dynamisée : le buste est penché plus en avant, la tension est visible dans la fermeté des poings serrés, la fronçure des arcades sourcilières et la bouche entre-ouverte.
À l'attitude parfaitement contenue de Moïse s'oppose une colère visible à travers le traitement plein de fougue et de rage des mèches de cheveux : on s'attendrait presque à voir la chevelure se dérouler en longs serpents, à l'instar de la 'Méduse' du Bernin conservée au musée du Capitole (Gian Lorenzo Bernini, 'buste de méduse', vers 1644-1648, H. 68 cm, musée du Capitole, inv MC1166).
Bien qu'il ait été impossible de retrouver le contexte de création de cette sculpture témoignant de l'engouement pour les antiques égyptiens dans l'Italie baroque, il faut toutefois y voir une œuvre exceptionnelle, tant par la rareté de son sujet iconographique que par sa qualité narrative. Il faut sans doute voir dans cette œuvre à la fois puissante et énigmatique le travail d'un artiste romain de grand talent, s'inscrivant encore dans la veine apaisée du baroque tardif de la première moitié du XVIIIe siècle.