Commentaire :
En janvier 2018, nous découvrions dans un hôtel particulier parisien un beau portrait d'homme au pastel que nous pûmes identifier rapidement comme étant celui de Charles Perrault par Charles Le Brun, décrit par Perrault lui-même dans l'inventaire de ses biens réalisé au moment de son mariage en 1672 (fig. 1)1. Passé entre les mains de plusieurs collectionneurs avertis, puis resté dans la même famille depuis le début du XXe siècle, ce pastel a depuis rejoint les collections du musée du château de Versailles.
Au sein de l'inventaire de 1672, quelques lignes après la description du pastel, se trouve cette autre mention : " Mon portrait peint par Monsieur Le Brun ". Prisé 500 livres, il s'agit, et de loin, du tableau estimé le plus cher de l'inventaire. Si sa trace avait été perdue, deux importants témoignages visuels avaient permis d'en conserver le souvenir jusqu'à sa récente redécouverte. D'une part, la gravure d'Etienne Baudet de 1675, reproduisant dans un ovale le buste de Perrault par Le Brun (fig. 2), et d'autre part, événement bien plus rare, une copie de ce portrait contemporaine de l'original : le morceau de réception à l'Académie royale du peintre Philippe Lallemand, remis en 1672 et aujourd'hui conservé au château de Versailles².
estampe d'Etienne Baudet mentionne la date de 1665 pour notre portrait, qui fut certainement réalisé quelques années plus tard. La décennie 1660 correspond pour Charles Perrault à une période d'apogée dans sa carrière auprès du roi et de son principal ministre, Colbert. En 1662 était créée à l'initiative de ce dernier la Petite Académie, conseil restreint rassemblant à ses débuts quatre hommes de lettres autour du ministre, et qui était chargé de la conception de l'image royale sous toutes ces formes, des écrits aux médailles, en passant par les devises, les cycles décoratifs, et enfin tous les arts. Ses membres avaient été choisis pour leurs compétences littéraires et leur culture classique, les rendant capables de choisir dans les sources anciennes des sujets propres à souligner les multiples vertus du roi. Ils devinrent ainsi les concepteurs d'une partie des grands décors royaux, dont ceux que nous pouvons encore admirer aujourd'hui à Versailles. Nommé secrétaire de cette académie dès sa création, Charles Perrault put compter dans cette tâche sur l'aide de son frère, l'architecte Claude Perrault, associant ainsi à sa plume et à ses idées un habile crayon permettant de les matérialiser3. Quelques années plus tard, en 1668, Perrault fut nommé Premier Commis des Bâtiments du roi.
Ce rôle amena l'écrivain à collaborer étroitement avec Charles Le Brun, premier peintre de Louis XIV, et les deux hommes nouèrent une relation d'amitié et d'estime dont l'histoire a gardé la trace. Charles Perrault célèbre l'artiste dans ses écrits, notamment dans la notice qu'il lui consacre dans les Hommes illustres : " Outre le don de peindre, qu'il avoit dans un très-haut degré, il avoit l'esprit net & penetrant, capable de reussir en tout ce qu'il auroit voulu entreprendre4 ". Le peintre utilisa quant à lui son talent pour illustrer les traits de l'écrivain à plusieurs reprises. Si le sobre pastel présenté chez Artcurial en mars dernier, centré sur le visage de Perrault et laissant la feuille vierge à l'arrière-plan, était un témoignage de la proximité entre le peintre et son modèle, l'ambitieux portrait peint que nous avons sous les yeux à quant à lui manifestement été réalisé moins pour la sphère privée que pour la scène officielle.
De nombreux détails qui ne doivent rien au hasard entourent ici le modèle et viennent souligner ses importantes fonctions ainsi que ses qualités. Représenté de trois-quarts, dans un habit noir richement brodé de conseiller du roi avec un jabot de dentelle blanche - qui ne sont pas sans rappeler les portraits officiels de Colbert -, Charles Perrault se tient devant une bibliothèque, le visage surgissant sur un épais rideau vert. Sur les étagères s'échelonnent de lourds volumes dont les noms des auteurs, distinctement écrits sur les tranches, symbolisent à la fois la culture classique de Perrault (Homère, Virgile, Cicéron) et sa connaissance des grands traités d'architecture de la Renaissance italienne (Serlio, Vignole, Scamozzi, Palladio, Vitruve). En écho à ces prestigieuses références, Le Brun a représenté dans la main de Perrault les œuvres d'Horace, poète par excellence, et sous cet ouvrage les plans du Grand Appartement du roi à Versailles fraîchement achevé et de l'Observatoire de Paris, construit par Claude Perrault en 1667. Un compas, le chevillier d'un luth et une tête de satyre souriant en marbre viennent compléter ces attributs, soulignant le goût et les connaissances de Charles Perrault dans tous les arts et la juste harmonie qu'il savait créer pour les accorder au service de la gloire du roi.
L'observateur attentif ne manquera pas de remarquer l'angle inférieur droit d'un tableau à l'arrière-plan. Il s'agit d'une toile de Nicolas Poussin, 'Moïse foulant aux pieds la couronne de Pharaon' (fig. 3), anciennement dans la collection du duc de Bedford à Woburn Abbey et dont nous savons qu'il était chez Cotteblanche en 1665, où Le Bernin, qui séjournait alors en France pour le projet de la façade du Louvre, le vit le 11 octobre, en compagnie de Charles Le Brun qui " a dit qu'il l'avait vu faire il y a vingt ans ", soit vers 1643-1645, lors de son séjour à Rome5. L'admiration du premier peintre de Louis XIV pour Poussin et l'influence que celui-ci exerça tant sur sa peinture que sur ses recherches et ses réflexions sur l'art ne sont plus à démontrer. Cette mise en abime constitue à la fois un subtil hommage de Le Brun à son maître et l'affirmation de la suprématie du Beau idéal sur l'observation stricte de la nature, idées partagées par le peintre et son modèle.
La richesse iconographique de ce portrait, ses différents niveaux de lecture, dont certains nous échappent peut-être encore aujourd'hui, nous permettent de saisir les mécanismes de la représentation sous le règne de Louis XIV. L'effigie d'un modèle va être déclinée par le peintre selon plusieurs critères précis et codifiés, alliant la ressemblance physique, l'acuité psychologique - passant par l'expression du visage et le regard -, les fonctions au sein de l'Etat, reconnaissables aux vêtements et attributs, la valorisation de certaines vertus et compétences mais également, et là est sans doute la plus grande difficulté, celle des valeurs et des idées. Le Brun réussit ici le tour de force de réunir tous ces éléments pour célébrer son collaborateur et ami Charles Perrault, utilisant tout son talent à rendre avec beaucoup de finesse les traits et la psychologie d'un modèle qu'il connaissait bien.
1. Vente anonyme ; Paris, Artcurial, 21 mars 2018, n° 7.
2. La remise d'une copie d'après un tableau existant comme morceau de réception à l'Académie royale de peinture et de sculpture peut surprendre mais n'est pas un cas isolé : ce fut par exemple le cas de Marc Nattier, reçu en 1676 avec un portrait de Colbert d'après Claude Lefebvre, ou encore de François Stiémart en 1720 avec un portrait du jeune Louis XV d'après Rigaud (voir cat. exp. 'Les peintres du roi 1648-1793', Tours-Toulouse, 2000, p. 33).
3. Voir à ce sujet M. Cojannot-Le Blanc, " Les artistes privés de l'invention ? Réflexions sur les " desseins " de Charles et Claude Perrault pour les Bâtiments du roi dans les années 1660 ", in 'XVIIe siècle', 2014/3, n° 264, p. 467-479.
4. Ch. Perrault, 'Les Hommes illustres…', Paris, 1698, p. 251.
5. cat. exp. 'Poussin et Dieu', Paris, musée du Louvre, 2015, p. 343.