Commentaire :
S'il fut brillamment à la fois peintre, dessinateur ou graveur, c'est surtout son art de l'illustration qui assura la renommée de notre artiste. Après avoir travaillé sur des projets aussi fameux que divers (La Bible, L'Enfer de Dante, Don Quichotte, Les Fables de La Fontaine, …), sa notoriété grandissante outre-Manche lui valut d'être sollicité pour réaliser les nouvelles planches du succès populaire britannique de la fin du XVIIIe siècle The Rime of the Ancient Mariner écrit par Samuel Taylor Coleridge. Composé entre 1797 et 1799, ce long poème décrit les aventures surnaturelles d'un capitaine de bateau qui fit naufrage, rapportant la destinée dramatique d'un équipage maudit pour avoir tué un albatros.
Selon Monsieur Philippe Kaenel, historien d'art et commissaire de l'exposition Gustave Doré (1832-1883). L'imaginaire au pouvoir qui s'est tenue au Musée d'Orsay en 2014, notre aquarelle est en lien direct avec ce conte pour lequel notre artiste fut sollicité en 1875. Notre œuvre fait figure de premier projet à l'aquarelle, technique de prédilection de Gustave Doré, ennoblie dans le courant du XIXe siècle grâce notamment à ses remarquables travaux.
Il est incontestable que Gustave Doré trouva dans Vingt mille lieues sous les mers une inspiration fondamentale dans la réalisation de cette œuvre. Publié en 1869-1870, à peine cinq années avant notre dessin, le roman de Jules Verne décrit un monde invisible parfaitement en adéquation avec l'imaginaire énigmatique de Doré d'une part, et avec le poème objet de notre aquarelle d'autre part. Nous retrouvons ainsi dans notre œuvre la même démarche créatrice que celle qui a inspiré Alphonse de Neuville et Edouard Riou, illustrateurs du roman.
Notre aquarelle, exécutée en camaïeux de bleu-vert, avec de légers rehauts de blanc, présente une composition particulièrement originale, la quasi-totalité de la scène se déroulant sous la mer. Alors qu'en surface évolue une flottille sur un océan paisible, des éléments de navires comme brisés par la main d'un géant jonchent les profondeurs : dunette, coques, matures, se mêlent en un inextricable champ de ruines. L'ambiance de cette aquarelle, où deux mondes parallèles et opposés s'ignorent, nous introduit dans un univers fantastique familier à notre artiste.