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Antoine de SAINT-EXUPERY
Pilote de guerre
Estimation :
250 000 € - 300 000 €
Vendu:
311 235 €

Détails du lot

Pilote de guerre

Exceptionnel manuscrit de Pilote de guerre

Manuscrit de 6 chapitres principaux du roman : 121 feuilles !
Vers 1940-1941. Epais ensemble de 124 ff. in-4, dont 62 ff. autographes, 20 ff. dactylographiés et 33 ff. dactylographiés avec parties autographes.

Un roman de propagande. Exilé aux Etats-Unis, le capitaine Saint-Exupéry ressent la nécessité d'écrire un texte qui mettra en évidence l'héroïsme des aviateurs qui ont lutté - en vain jusque là - pour la liberté de la France. Il veut contribuer à réveiller aux Etats-Unis l'estime pour la France que la défaite ne suscitait plus : les romans ne sont pas que des mots et Saint-Exupéry ose espérer conduire l'opinion publique américaine à accepter l'idée d'une participation des Etats-Unis dans le combat qui se déroule en Europe. C'est en somme un roman de propagande que Saint-Exupéry commence dès son arrivée aux Etats-Unis : de 1940 à 1942, retiré du monde, il ne fait guère qu'écrire. Le roman, épopée à la gloire de l'héroïsme, parut en février 1942, fut immédiatement un succès et la presse américaine célébra aussitôt le chef-d'œuvre. La Victoire n'était plus si loin.

Un seul manuscrit connu, celui de la Bibliothèque nationale. Un seul manuscrit important du roman est connu - celui donné par Helen Mac Kay à la Bibliothèque nationale : c'est dire l'importance de celui que nous présentons, qui concerne plusieurs chapitres essentiels du roman.

Manuscrit "composite". Le manuscrit de la Bibliothèque nationale est, comme le nôtre, composite : sur 842 ff., des feuilles manuscrites (599 ff.) alternent avec des feuilles dactylographiées (243 ff.) et les papiers utilisés sont, dans les deux cas, très variés : papier jaune ou blanc, pelure (souvent au filigrane "Fidelity Onion Skin") ou vélin. L'écriture y est tantôt à l'encre, tantôt au crayon. Les pages dactylographiées présentent souvent des paragraphes hachurés, éliminés et sont presque toujours surchargées de corrections. De véritables "paperoles" proustiennes sont composées de morceaux tapuscrits corrigés et collés sur un nouveau feuillet avec des morceaux d'autres passages manuscrits.

Variantes et inédits. La graphie de Saint-Exupéry présente de grandes variations : ample et lisible quand elle est au crayon, elle est parfois très serrée, d'une écriture plus hâtive. De longs passages semblent avoir été écrits d'une traite, presque sans hésitation, alors que d'autres gardent la marque d'un travail plus minutieux, fait de reprises, de corrections, de variations infinies. Des paragraphes sont réécrits de nombreuses fois, avec de légères variantes. Ainsi travaillait Saint-Exupéry, qui écrivait, réécrivait sans cesse les mêmes passages, jusqu'à arriver à la version définitive : tant de pages écrites pour, parfois, une seule phrase retenue ! Le commentaire de Paule Bounin, étudiant les manuscrits de la Bibliothèque nationale, s'applique également aux nôtres : "Le lecteur trouvera donc les ébauches qui témoignent, comme dans les textes précédents de Saint-Exupéry, et malgré l'urgence et l'angoisse, du même soucis d'atteindre à l'expression la plus sobre et le plus exacte de sa pensée, du même travail sur le détail de l'écriture" (Pléiade, II, p. 1316). A cet égard, les feuilles qui documentent le chapitre XXV sont assez exceptionnelles : ce court chapitre de 4 p. dans l'édition de la Pléiade, est ici réécrit des dizaines de fois, dans au crayon, à l'encre, à la machine, et présente des variantes infinies.
Souvent nous avons une version tapuscrite et manuscrite des mêmes paragraphes : tantôt le tapuscrit est une version mise au net de pages manuscrites, tantôt au contraire il réécrit la somme de corrections apportées sur un tapuscrit, devenu peu compréhensible à force d'être corrigé (cf. chap. XIV).

Les variantes avec le texte publié sont donc évidemment très nombreuses. Plusieurs passages sont inédits ; de ce vaste chantier, nous ne pouvons donner qu'un court aperçu :

Chapitres V et IX
- 6 ff., papier pelure jaune, d'un état très ancien du texte, comportant des passages que l'on retrouvera dans les chapitre V et XI. Deux feuillets sont particulièrement intéressants : il s'agit d'un plan intitulé "La guerre. Thèmes", dans laquelle l'auteur semble avoir organisé en groupes et en sous-groupes plusieurs thématiques : "Histoire d'une mission", "Vie du groupe", "Armistie", etc. Ce
"- Histoire d'une mission
Lebrun et Yatapan
l'habillage
l'oxygène
le laryngophone : on peut toujours courir, n'est plus près, essais de langages
Lebrun et le Yatapan
- Vie du groupe
Personne ne dit du mal de…
Celui-ci me fait honte ( ?)
- Armistice
Pays en panne sur routes
Images du pressoir
Ravitaillement impossible
Evacuation du village : le boulanger parti / le mur de ciment / les larmes / liquidation générale".

Chapitre X
- 1 f., papier pelure jaune. Paragraphes que l'on retrouvera, très modifiés, dans le chap. X, avec notamment cette question plusieurs fois répétée : "Attention à quoi, commandant Alias", qui forme ici l'incipit.

Chapitre XIV
- 3 ff. tap., avec corrections manuscrites au crayon et l'indication "4. Nouveau chapitre", alors que ce passage sera le cœur du chap. XIV [p. 158-159]. Un paragraphe hachuré, non retenu.

Chapitre XVI
- 1 f. autographe, avec au verso une adresse. Très beau passage, d'un état ancien du texte [p. 170] :
"Je me souviens d'une impression saisissante : nous contournions mon groupe et moi ce jour-là dans un village que traversait le flot de réfugiés. Le passage de ces réfugiés avait rongé ce village jusqu'à l'os. Il n'y avait plus de boîtes de conserve sur les étagères des épiceries. Sauterelles sur macadam. Une femme nous a demandé du lait… - mais il n'y avait point de lait ici. Peut être au village suivant mais combien d'heures fallait-il, par une route entièrement embouteillée pour atteindre le village suivant ? Et tout à coup la vie de cet enfant qui n'avait pas tété depuis la veille s'est trouvée soumise à la rotation des aiguilles d'une montre. […] Ils ont disparu mais tout l'après-midi j'ai regardé l'horloge du village. Combien d'enfants écrasait-elle ainsi en tournant lentement… Nous étions au sommet de l'urgence et déjà ça ne l'était plus. Toute cette population renonçait à l'urgence. Elle était suspendue en équilibre instable entre l'espoir et l'attente."

Chapitre XX et XXI
- 3 ff. tap, avec corrections abondantes sur le premier f., à l'encre. Les paragraphes sont dans un tout autre ordre que celui publié, l'un d'eux est supprimé par des hachures et d'autres passages, au cours duquel Saint-Exupéry passe devant un tribunal n'est pas sans appeler la Lettre à l'Otage, dont, justement, le tapuscrit présente un passage [p. 97, début du chap. IV].

Chapitre XXIII
- 1 f. aut. [p. 205], qui est la mise au net des 2 ff. devenus un peu confus tellement il y a des corrections :
- 2 ff. tap. très corrigés [p. 205-206].

Chapitre XXV -- 78
C'est le chapitre dont nous avons le plus de feuilles (75 ff), le plus versions différentes. Qu'il suffise de dire qu'il y a :
- 36 ff. autographes, au crayon.
- 36 ff. tap., très abondamment corrigées au crayon. Nombreux paragraphes barrés, ou complètement réécrits. L'auteur a découpé des passages tapuscrits pour les coller dans un autre ordre et y insérer des passages manuscrits.
- 5 ff. en grande partie manuscrits, avec des passages tapuscrits collés.

Chapitre XXVI
Version manuscrite du chapitre et un long passage avec ces célèbres passages litaniques "Ma civilisation, héritant de Dieu…".
- 13 ff. aut. au crayon [p. 216-220] ;
- 2 ff. avec paragraphes tap. collés et paragraphes aut. [p. 216-217].

Chapitre XXVII
Deux versions, manuscrite et tapuscrite, du début du chapitre [p. 220-221], puis autres paragraphes :
- 4 ff. aut. au crayon, bien lisible ;
- 2 ff. tap. avec corrections et ajouts au crayon ;
- 2 ff. aut. au crayon [notamment p. 225].

Divers chapitres
Par ailleurs, des feuilles - certainement des états anciens de l'écriture - comportent des paragraphes qui, ultérieurement, seront dispersés dans différents chapitres. Ainsi :
- 6 ff. autographes, au crayon, dont le très beau texte, suivi, se retrouvera dans les chap. XXIV, XXV, XXVI et XXVII.
"Mon fermier s'il reçoit quelque vagabond à sa table l'acceptera tel quel malgré ses tares […]. Il ne lui demandera point de lui ressembler. Le vagabond, s'il est boiteux, déposera son bâton dans un coin, et sourira heureux. Mon fermier n'exigera point de lui qu'il danse. Mais il écoutera le récit des longs cheminements de ce vagabond sur les routes. Le vagabond parlera en Ambassadeur d'une patrie […]. Mon fermier, à son tour, parlera sur le blé. Le vagabond le verra labourer, verser, semer, intercéder ainsi entre le soleil et la terre […]. Et, bien que les gendarmes protègent les biens de mon fermier, bien que [?] ils représentent des opinions qui ressemblent aux siennes et peut-être professent des opinions semblables, mon fermier ne leur vendra livrera pas le vagabond s'il se trouve que le vagabond est un prisonnier et que les gendarmes le recherchent. Les opinions de mon fermier sont autre chose que des formules. […] Quelle que soit sa vision sociale, qu'il se trompe ou non, mon fermier prétend ennoblir d'abord, par le triomphe de ses idées, les relations entre les hommes. Si même le vagabond combat cette vérité mon fermier ne comprendra pas qu'il la puisse servir en la trahissant dans sa substance même son essence. Le vagabond a dîné à sa table. Mon fermier lui dira : je ne pense pas comme toi, mais nous avons rompu le pain ensemble. Va-t-en te cacher dans la grange... Et mon fermier ne croira pas se démentir, malgré les formules, se contredire. […] L'homme de chez moi est enrichi et non lésé par la richesse de son voisin. Quelque part, il ne sait d'où, elle se fait sienne. Ainsi en est-il quand le lien est fort. La cathédrale du moyen âge absorbe dans son unité les matériaux les plus disparates. Le lien qui les mue ne paraîtrait pas se refermer si les statues souriaient toutes du même sourire. Ma civilisation ne fonde pas l'ordre sur l'alignement d'objets semblables. Son ordre est l'ordre de la vie. Elle affirme qu'un arbre est un ordre bien que racines, tronc, branches et fruits ne se ressemblent guère."

BIBLIOGRAPHIE : la pagination donnée entre crochets renvoie au texte de l'édition du texte dans Œuvres complètes, Pléiade, II.

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