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Antoine de SAINT-EXUPERY
Lettre contre une accusation infâmante d'être un agent nazi
Estimation :
6 000 € - 7 000 €
Vendu:
10 296 €

Détails du lot

Lettre contre une accusation infâmante d'être un agent nazi


Très belle lettre, vers 1941. 2 ff. in-4, papier pelure orangé.
Devant une accusation qui lui semblait injuste, un débat non-abouti, un sarcasme auquel il n'avait pas réagi, Saint-Exupéry ne pouvait jamais rester insensible : les idées se bousculait en lui et tôt ou tard il ne répondait pas une longue lettre polémique pour défendre ses opinions. "J'ai la maladie de la mise au point, je souffre si je laisse des choses vagues et confuses derrière moi", dit-il à un autre interlocuteur (Pléiade, II, p. 1038).
Son correspondant semble l'avoir traité d' "agent naziste" : une accusation forte à laquelle il ne peut rester insensible. Les mots barrés nous montrent toujours comment, néanmoins, il modère ses propos, parfois dans un premier temps : "je vous considérerais tout simplement comme un salaud" devient "je pourrais les considérer [ses déclarations] comme définitivement gratuitement injurieuses". Devant ces accusations outrageuses, Saint-Exupéry avance le meilleur argument qui plaide en sa faveur : ses écrits. Les accusations, dit-il, sont "risible[s] : relisez-moi et lisez, quand il paraîtra, mon prochain livre [Pilote de guerre, paru en fév. 1942 à New-York], estimant que l'action d'un livre qui touche des centaines de milliers d'hommes est plus représentative qu'une conversation mal interprétée qui en touche vingt cinq."
Très belle lettre, qui n'est pas sans rappeler celle à Jules Roy (Pléiade, II, p. 335-338, 1943).

"Mon cher ami,
Si je commence ainsi ma lettre ce n'est point seulement par routine. Je vous donnais ce titre, il y a déjà deux ou trois ans, et rien, dans l'ordre de nos rapports directs et personnels, n'a modifié, que je sache, nos relations. Aussi pourrais-je continuer de vous appeler " mon cher ami " considérer comme mon ami par vitesse acquise, si l'on peut dire.
Pourtant si je ne connais point de heurts personnels entre nous susceptibles de motiver un changement dans nos relations, je connais cent autres prétextes qui pourraient me servir solliciter m'incliner à exclure tant d'attaques qui me conserve point le souvenir du moindre petit doute qui nous eut divisés, il est tant de déclarations faites par vous qui me reviennent aux oreilles que, si je n'étais bâti de façon très particulière, je vous considérerais tout simplement comme un salaud pourrais les considérer comme définitivement gratuitement injurieuses, et m'appuyer sur elles pour vous mépriser, peut-être à tort. Mais il se trouve que je me considère comme un homme et ne bâtis pas mes opinions, mes ? et mes jugements sur des accidents de langage, surtout s'ils sont ? par des tiers, fussent-ils innombrables.
Les problèmes qui se posent aux hommes de 1941 sont inextricablement enchevêtrés. La vérité ne présente pas un visage simple. Et ceux qui soutiennent les points de vue les plus divergents peuvent la servir tous à la fois sans la connaître. Vous êtes entré dans un système pour lequel vous combattez. Et certes vous avez raison. Mais en même temps qu'est nécessaire indispensable la victoire de l'Angleterre il est nécessaire indispensable aussi que cette victoire ne s'appuie pas d'abord sur la disparition de notre race car alors, pour moi, elle est vaine. Et ceux qui se préoccupent de cet aspect de la question ont aussi raison cette face du drame (?) ont également raison. Je ne vous le reproche point de ne pas la considérer : je crois j'estime qu'il faut diviser les efforts actions et c'est celui qui combat. Celui qui dans une société, remplit l'office de geôlier n'a pas à se préoccuper de l'état médical (?) du condamné, et celui qui remplit l'office de psychiatre n'a pas à se préoccuper de sa position juridique. Le ridicule commence quand le geôlier reproche au psychiatre de lui soustraire un condamné ou lorsque le psychiatre reproche au geôlier de châtier un irresponsable. Chacun remplissait d'abord sa fonction. La vérité s'appuie toujours sur la [mot illisible] de contradictions apparentes.
Car si l'on poussait à bout votre raisonnement, le suicide général, au jour convenu à l'avance, de tous les français de France, servirait la cause de l'Angleterre. Et je vous avoue ne point comprendre ce point de vue qui est le seul, à ma connaissance, à nous diviser. Car lorsque vous me reprochez si éloquemment d'être agent naziste (ce qui est risible : relisez-moi et lisez, quand il paraîtra, mon prochain livre, estimant que l'action d'un livre qui touche des centaines de milliers d'hommes est plus représentative qu'une conversation mal interprétée qui en touche vingt cinq) vous ne pouvez faire allusion qu'à mon point de vue bien définitif sur le ravitaillement des enfants français."

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