Commentaire :
Dans les quatre premiers chants de l''EnĂ©ide', Virgile raconte l'union tragique du hĂ©ros troyen EnĂ©e et de la reine Didon. Après la chute de Troyes, EnĂ©e et son Ă©quipage, emportĂ©s par une tempĂªte, Ă©chouent sur les rives de Carthage. La reine Didon offre son hospitalitĂ© au hĂ©ros dont elle s'Ă©prend, mais leur liaison entraĂ®ne la jalousie d'un prĂ©tendant de Didon qui implore Jupiter. Le roi des dieux contraint alors le hĂ©ros Ă quitter Carthage et Ă abandonner Didon, dont le dĂ©sespoir la conduit au suicide.
Deux tableaux de mĂªme composition, conservĂ©s au Castello Sforzesco de Milan et au musĂ©e de Brest (1), reprĂ©sentent ce sujet, traditionnellement considĂ©rĂ© comme 'Le dĂ©part d'EnĂ©e'. Nicola Spinosa (2) considère notre tableau comme antĂ©rieur Ă la version de Milan. De dimensions plus grandes (238 x 338 cm), la version de Milan se caractĂ©rise par une exĂ©cution plus relĂ¢chĂ©e et une composition plus maladroite, dĂ»es notamment Ă un espace trop important entre le bras d'EnĂ©e et son navire. Le tableau de Brest, de dimensions similaires Ă celui que nous prĂ©sentons, est considĂ©rĂ© comme autographe mais nous semble manifestement de bien moindre qualitĂ© que le nĂ´tre.
Dès 1708, Francesco de Mura est le principal Ă©lève de Solimena. Sa production de jeunesse est grandement influencĂ©e par son maĂ®tre et c'est en rĂ©alisant des dĂ©cors religieux et civils comme ceux des palais de Naples et Turin qu'une sensibilitĂ© plus autonome s'affirme. Les gestes et les regards des personnages mettent en exergue la figure d'EnĂ©e, casquĂ©e et armĂ©e, qui dĂ©signe son navire. Francesco de Mura joue habilement sur la tonalitĂ© des couleurs, tantĂ´t pĂ¢les pour les fonds et tantĂ´t vives pour les drapĂ©s, qui tĂ©moignent de la pĂ©riode de maturitĂ© de l'artiste.
Le thème retenu par l'artiste et son traitement thĂ©Ă¢tral s'intègrent dans un contexte plus gĂ©nĂ©ral de pompes et de fĂªtes dans l'Italie du XVIIIe siècle au sein duquel la musique joua un grand rĂ´le. Lorsque Alessandro Scarlatti compose en 1696 l'opĂ©ra La Didone dĂ©lirante, il ne se doutait pas qu'en mĂªme temps se formait un jeune artiste qui illustrerait cinquante ans plus tard avec talent ce passage de l'EnĂ©ide.
1 - CiviltĂ del'700 a Napoli, cat.exp., Naples, Florence, 1979, I, p.198
2 - Pour une notice complète de ce tableau voir Settecento, Le siècle de Tiepolo, cat.exp., Musée des Beaux-Arts de Lyon et de Lille, 2000-2001, n°104, p.254-253