Commentaire :
" M. Bouchardon a été certainement le plus grand sculpteur et le meilleur dessinateur de son siècle. On lui a l'obligation d'avoir ramené le goût simple et noble de l'antique "
Cet éloge de Charles-Nicolas Cochin doit nous rappeler l'importance d'Edme Bouchardon, sculpteur du roi Louis XV et monument de l'histoire de la sculpture en France. Agréé à l'Académie royale dès 1733 à son retour de neuf années romaines, il multiplie d'abord les commandes pour l'Eglise et privées. Entre 1739 et 1745, il exécute ce qui est admis aujourd'hui comme son plus grand chef-d'œuvre : la fontaine de la rue de Grenelle. Sa réputation n'est ainsi plus à faire quand il est désigné le 11 juillet 1748 pour réaliser une statue équestre monumentale à la gloire du souverain, sur un terrain que le roi devait choisir et d'après un modèle qu'il devait agréer. De nombreux projets virent le jour avant que Louis XV ne décide contre toute attente d'offrir à la ville de Paris le terrain situé entre le pont-tournant du jardin des Tuileries et l'avenue des Champs-Elysées. Cette décision du souverain fut d'une grande importance pour le développement de la capitale vers l'ouest mais elle fut plutôt critiquée, beaucoup ne concevant pas que l'on puisse ériger une statue royale au milieu de ce qui était alors la campagne.
Edme Bouchardon travailla sans relâche à l'élaboration de ce monument, qui sera son dernier ouvrage. Notre artiste multiplia les travaux et études préparatoires, beaucoup nous sont parvenus et sont aujourd'hui conservés dans les collections nationales. Ils constituent un témoignage précieux du processus créatif très minutieux de l'artiste. Il multiplia les études de chevaux d'après nature, rapidement envoyées à la sanguine sur le papier, travailla avec acharnement au juste rendu de l'anatomie du souverain, s'appuyant déjà sur ses années d'expérience, mais aussi sur une culture érudite continuellement complétée. L'image définitive du monument fut assez vite fixée par l'artiste et validée par le roi. La maquette actuellement conservée au musée des Beaux-Arts de Besançon serait probablement celle validée par la couronne. Louis XV est représenté dans un costume à l'antique sur un cheval au pas, reprenant les grands canons des monuments équestres classiques, du Marc Aurèle antique du Capitole aux Louis XIV de Girardon et Desjardins de la place Vendôme à Paris et de la place Bellecour à Lyon, en passant par le Gattamelata de Donatello. La statue est placée sur un très haut piédestal orné de bas-reliefs narratifs et, chose totalement nouvelle stylistiquement, de quatre Vertus en cariatides.
Une fois le choix du modèle posé, dès le mois d'octobre 1749 vraisemblablement, le travail effectif du sculpteur se met en place. Les contrats et devis signés entre Bouchardon et les autorités commanditaires sont alors clairs : " le sieur Bouchardon s'oblige à ne point perdre de veuë cet ouvrage. Il en doit être l'âme, tout doit rouler sur lui […] il y travaillera sans relâche, avec ses compagnons sculpteurs, à terminer promptement l'ouvrage. Il se borne pour cela à un terme de dix années […] ". Après finalement plus de dix années de travaux, le monument fut installé le 23 février 1763, quelques jours après la signature du traité de Paris mettant fin à la guerre de Sept Ans et sept mois après le décès du sculpteur. Jean-Baptiste Pigalle, qui fut désigné par Bouchardon avant sa disparition, supervisa la réalisation des cariatides, s'attelant à achever le piédestal qui fut finalement découvert le 17 août 1772 (fig. 1).
Notre bronze est une séduisante réduction du monument qui fut malheureusement détruit à la Révolution et dont nous ne conservons que la main droite fragmentaire du souverain. Il témoigne de la rare élégance de l'esthétique ronde et douce du sculpteur, et de sa parfaite maitrise des proportions. Il est présenté sur une base sobre et raffinée en placage de bois noirci faisant de notre sculpture un objet d'une grande désirabilité.
Légende de la fig. 1 : J. Ph. J. de Saint-Quentin, L'Entrée des Tuileries vue de la place Louis XV à Paris, Besaçon, musée des Beaux-Arts et d'Archéologie