Œuvres en rapport :
- Une autre aquarelle avec variantes, plus finie, de l'ancienne collection Jean Gigoux, passée à la vente Bühler en 1985 (Bazin, t. VII, n°20623)
- une autre aquarelle de l'ancienne collection du général Bro, annotée dans le bas : " cette aquarelle est le dernier ouvrage auquel eut travaillé Géricault avant de se mettre au lit pour n'en plus sortir " (Bazin, t. VII, n°20624). La position du cheval, les deux membres avant cabrées, est différente.

Ce magnifique dessin inédit illustre à la perfection la bravoure d'un officier impérial à l'assaut des troupes ennemies ; ayant déjà lancé son cheval, sabre au clair, il se retourne en pleine chevauchée pour galvaniser ses troupes. Le cheval écumant gravit une côte et entraîne son cavalier dans une charge ascensionnelle : vaincre ou mourir, la question ne se pose pas, même si l'écarquillement des yeux de l'animal et de l'homme rappellent que le courage n'existe pas sans être talonné par la peur.
Une belle lumière focalise l'attention sur les mouvements du cavalier, magistralement obtenue par la réserve du blanc du papier sur le bras et la cuisse droite ainsi que la main gantée tenant la bride. Le sabre luit d'un éclair traversant la cuirasse par le même moyen subtil.
Le visage assombri par l'ombre de la visière renforce la détermination morale de ce guerrier moustachu, soldat de l'Empire et gaulois indomptable. Derrière lui, une scène avec des silhouettes rapidement griffonnées, recouvertes de taches de lavis, indique probablement d'autres carabiniers à cheval. La scène difficilement descriptible rend perceptible la vitesse de la course et concentre l'attention sur le carabinier.
La légèreté de l'aquarelle permet de situer l'exécution de ce dessin après le voyage en Angleterre de Géricault.
Après une chute de cheval dramatique, Géricault est alité. Sur son lit de douleur, il n'en continue pas moins à dessiner fiévreusement, principalement des chevaux. Il revisite les thèmes de son œuvre.

Il inverse ici une composition dessinée selon Clément vers 1812-1816 et lithographiée en 1818-1819 (1). Le carabinier, sur un cheval prêt à s'élancer est dans la même position que sur notre dessin mais vu de dos. Ce dessin appartint à Delacroix et Théophile Gauthier le décrivit ainsi avec sa fougue enthousiaste : " Le cuirassier vu de dos, immobile dans sa carapace de fer, l'épée haute, pesamment et carrément assuré sur sa selle, semble attendre pour partir l'ordre : - au galop. On sent qu'à ce calme va succéder une charge furieuse, comme celle qui enlève les redoutes de la Moscova. Quelle magnifique statue équestre que cette figure. Ce n'est pas peint mais sculpté, et de la fierté la plus héroïque."
L'impression ressentie est ici très différente grâce à la technique aquarelliste acquise en Angleterre. La lumière naturelle anime et pénètre les corps, rendant aux êtres la chaleur de la vie. Géricault, si près de la mort, comprend avec d'autant plus d'acuité la légèreté de la vie.
L'inscription sur la feuille ayant appartenu au général Bro de Comères montre qu'il s'agit d'une des dernières compositions de Géricault. Notre dessin, moins travaillé que celui de la collection Gigoux correspond sans doute à une étape antérieure.

Nous remercions Monsieur Philippe Grunchec de nous avoir confirmé l'authenticité de cette aquarelle par un examen de visu.

1. Voir Philippe Grunchec, Géricault, dessins et aquarelles de chevaux, Lausanne, 1982, p. 87, repr.