Commentaire :
" Si l'on en croit le témoignage de ses livres de comptes (Paris, Bibliothèque de l'Institut de France), la première confrontation de Hyacinthe Rigaud (1659-1743) avec son royal modèle ne date pas de la succession d'Espagne en 1700-1701, mais remonte à l'orée de la décennie 1690. Le célèbre portrait de Louis XIV en grand costume royal (fig. 1, Paris, musée du Louvre) admet en effet un, voire deux précédents, en 1691 et 1694, dont on ne sait s'ils valurent à Rigaud d'obtenir des séances de pose ou bien s'ils furent inspirés, comme nous le pensons, par les images créées par certains de ses confrères, tels Charles-François Poerson (1653-1725) qui remporta, cette même année 1691, un beau succès avec son Louis XIV en armure complète, connu par la gravure de Pierre Drevet (Paris, Bibliothèque nationale de France) : le roi y est vu jusqu'aux genoux, de profil vers la gauche, main gauche à la hanche, main droite en appui sur un bâton de commandement qui repose en équilibre sur une table, près d'un armet empanaché, selon, en fin de compte, un parti pris assez proche de celui de notre tableau. Il semble qu'à son tour, Rigaud ait rencontré quelque " empressement du public ", lorsqu'en 1694, il proposa une effigie du roi, que ses livres de comptes nous décrivent tantôt " en grand " ou " en pied ", tantôt " en buste ", et selon une grille de prix dont la très grande diversité (de 40 à 600 livres pièce) suggère l'existence de multiples variantes dans le cadrage et l'habillement. En cinq ans, de 1694 à 1699, l'atelier de l'artiste, qui dut s'entourer pour l'occasion de sept collaborateurs, n'exécuta pas moins de cinquante et une répliques de cette œuvre pour toute la Cour, la Ville et la province. Le bruit s'en répandit ainsi jusqu'à Montpellier, si bien que l'ancien maître de Rigaud, Antoine Ranc (1634-1716), réclama qu'on lui en fît parvenir une version en buste…
Tout porte à croire que le tableau de 1694 avait quelque ambition : une figure jusqu'aux genoux, armée, assortie d'un fond de bataille à la Joseph Parrocel (1646-1704), soit le minimum exigé pour créer l'événement et susciter l'intérêt du public. Les sources scripturaires jointes à l'abondance des versions conservées militent désormais en faveur d'une assimilation du portrait de 1694 avec un 'Louis XIV' (voir A. James-Sarazin, Hyacinthe Rigaud (1659-1743), Dijon, 2016, t. I : 'L'Homme et son art', p. 124-135 et t. II : 'Le Catalogue raisonné', p. 131-134, n°*P.382) portant un simple plastron barré du cordon bleu de l'ordre du Saint-Esprit, sur un habit de velours marron aux larges revers brodés comme aime à les dessiner Rigaud dans les années 1690. Il n'y a pas jusqu'à la console devant laquelle se tient le royal modèle qui ne participe d'une mise en scène récurrente chez l'artiste à la fin du XVIIe siècle (Boufflers en 1694, Flamarens en 1694-1695, Croissy en 1693, Conti en 1697, etc.). De qualité inégale, les meilleures versions connues de ce portrait se limitent le plus souvent à une représentation de Louis XIV en buste, sans les mains. C'est dire tout l'intérêt de notre tableau qui, non content d'être particulièrement scrupuleux dans l'évocation de la prestance royale et de ses attributs (têtes de lions, soleils, fleurs de lys et arabesques des épaulières, parements argentés des revers, extrémités effilochées des rubans, etc.), nous restitue avec une belle maîtrise toute l'autorité d'une formule dont il est l'un des témoignages jusqu'à présent les plus accomplis. "
Nous remercions Madame Ariane James-Sarazin pour la rédaction de cette notice.