Brouillon de 2 p. in-4, 3 perforations de classeur. Vers novembre 1941. Ingénieur des bureaux parisiens de l'Aéropostale, ami de Saint-Exupéry, Roger Beaucaire assurait au début des années trente les relations publiques de l'Aéropostale. Il retrouvera Saint-Exupéry à New York en 1941.
Passionné par les problèmes de physique, Saint-Exupéry a échangé avec son ami Roger Beaucaire une correspondance argumentative, notamment sur un problème de tonneau "immergé dans un fluide". Une lettre du 15 novembre 1941 (Pléiade, II, 1025-1027) développe en plusieurs points (définition/proposition/démonstration…) une argumentation scientifique, mais les deux correspondants ne tombent pas d'accord sur le "litige". Beaucaire s'est désintéressé de la "question du tonneau" parce qu'il la trouve mal posée. Pour Saint-Exupéry, c'est "le mode de raisonnement qu'il y a lieu de critiquer", non pas le problème lui-même, et il considère son interlocuteur "de mauvaise foi". Même s'il ne s'agit plus ici d'une dissertation scientifique comme dans sa lettre du 15 nov., le texte est très structuré, et présenté comme une équation, avec des paragraphes numérotés et une syntaxe d'une logique toute mathématique ("N° 1 vous paraissait hier aussi évident que n° 2 vous le paraît aujourd'hui…").
Notons encore que, dans ses Carnets (Pléiade, I, 512, n° 288), écrits entre 1935-1940, Saint-Exupéry mentionne une autre opposition à son ami Beaucaire ("La grande erreur de Beaucaire est, somme toute, une erreur finaliste. C'est parce que l'homme acquiert des concepts qu'il progresse, non parce qu'il progresse qu'il acquiert…").
"Si vous désirez savoir pourquoi je vous considère de mauvaise foi dans les discussions (ce qui fait que je ne peux plus discuter avec vous sans m'user les nerfs) en voici un exemple frappant :
- La question du tonneau est mal posée et mal définie, c'est pourquoi je me désintéresse de l'histoire.
- Non, Beaucaire. Le Type raisonnement du tonneau est peut-être critiquable, mais cette critique est énonçable car le tonneau est parfaitement posé et parfaitement défini.
Vous (au lieu de considérer que mon affirmation mérite attention), vous me répondez (comme vous me répondiez l'autre jour en haussant les épaules dédaigneusement :
N° 1 - Je refuse (?) de considérer vos affirmations successives, car il est évident que le mode de raisonnement qui les lie est aussi absurde qu'enfantin).
Vous me répondez donc cette fois :
N° 2 - Je refuse de considérer et de juger votre raisonnement parce qu'il est évident que les définitions sur lesquelles il repose sont aussi mal posées que confuses.
N° 1 vous paraissait hier aussi évident que n° 2 vous le paraît aujourd'hui. Vous pouvez donc aussi vous tromper aujourd'hui. Il se pourrait donc que je vous démontre demain que le tonneau étant bien posé et bien défini, c'est le mode de raisonnement qu'il y a lieu de critiquer.
Mais alors, Beaucaire, alors vous refuserez absolument à votre charge, le fait d'avoir prétendu la veille le contraire. Ce qui est aujourd'hui une affirmation péremptoire sans une vérité que nous apparaît comme évidente vous la dénommerez "discussion dans le brouillard (?)… Difficile de suivre un exposé verbal… peut-être aussi je me dis que (??)… mais, mais, mais, etc…).
Je vous reproche donc :
1/ de toujours commencer par prendre votre interlocuteur pour un con. En portant, sans l'écouter (votre sacrée "évidente !") des affirmations comme I ou II, ou les choses ne vous apparaissent pas comme obscures mais comme éblouissantes de clarté (c'est en ce point précis ce que vous prétextez).
2/ de me dire le lendemain si je vous mets au pied du mur."
BIBLIOGRAPHIE : Cf. lettre sur le tonneau à Roger Beaucaire, 15 nov. 1941 publiée dans Œuvres complètes, Pléiade, II, p. 1025-1027.