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Jacopo da PONTE, dit BASSANO (Bassano del Grappa, 1510 - 1592)
Allégorie de la Terre
Estimation :
400 000 - 600 000 €

Description complète

Allégorie de la Terre
Toile

Allegory of the Earth, canvas, by J. Bassano

50 x 69.88 in.

177.5 cm x 127 cm
Provenance :

Collection Prof. A. Strauss, Vienne, 1934-1937 ;

Sa vente ; Genève, Galerie Moos, 30 octobre 1937, n° 1 ;

Collection particulière, Suisse ;

Vente anonyme ; Zürich, Koller, 23 septembre 2022, n° 3023

Expositions :

Guercino L’Era Ludovisi a Roma, Rome, Scuderie del Quirinale, 31 octobre 2024 – 26 janvier 2025, p. 232-233, n° 73 (notice par Alessandro Ballarin)

Bibliographie :

Wilhelm Suida, "Studien zu Bassano", in Belvedere: Monatsschrift für Sammler und Kunstfreunde, 1934-1937, XIIe année, 9e cahier, p. 196, ill. 221

Edoardo Arslan, I Bassano, vol. I, Milan, 1960, p. 384 (comme peut-être une œuvre de jeunesse de Francesco Bassano)

Alessandro Ballarin, Jacopo Bassano 1576-1581. Dall’ Allegoria della Terra alla grande Natività di notte, Verone, 2025 (publication à venir)

Commentaire :

Un nettoyage récent a rendu à notre toile ses couleurs franches et sa cohérence picturale, ce qui a permis à Alessandro Ballarin de l'authentifier comme une œuvre autographe importante et de la réintégrer dans le corpus de Jacopo Bassano. Elle appartient à la série des Éléments, le dernier grand cycle de quatre sujets qu’il ait conçu. Créé vers 1576-77, l’ensemble a été dispersé très tôt, et l’autre œuvre connue qui en faisait partie, l'Allégorie de l’Air, a été détruite en 1945. Réalisé après l'Histoire de Noé, vers 1574, et les Quatre Saisons entre 1574 et 1577 (Kunsthistorisches Museum à Vienne), les Eléments comptent parmi les chefs-d’œuvre de la maturité de l’artiste, et ont profondément influencé le cours de la peinture européenne.


Élève de son père Francesco, puis de Bonifacio de’ Pitati dans les années 1530, le jeune Jacopo Bassano assimile à Venise les œuvres de Titien, de Pordenone, ainsi que les gravures de Parmigianino, tout en regardant la peinture lombarde de Savoldo et de Moretto. Son style propose une synthèse éminemment personnelle de deux courants divergents et contradictoires : la poésie luministe des suiveurs de Giorgione et les compositions complexes du maniérisme. En 1539, Jacopo Bassano quitte Venise pour s'établir définitivement dans sa ville natale, Bassano del Grappa, où il crée de grands tableaux d'autel pour les églises.

À partir de 1560, il invente un genre nouveau : des séries de quatre grandes compositions naturalistes d’esprit plus profane, qui auront un très grand succès de son vivant, et seront recherchées pendant deux siècles. Les écrivains Giorgio Vasari (1568), Lorenzo Marucini (1577) et R. Benedetti (1571) les célèbrent dès leur création1. Ces compositions originales qui mêlent la pastorale et les sujets bibliques ou allégoriques sont diffusées par des répliques de l'artiste peintes en collaboration avec ses fils, et plus particulièrement Francesco2.

Elles sont caractérisées par un, sans séparation nette entre l’intérieur et l’extérieur, et montrent une profusion d’animaux ou de fruits et légumes ; là aussi Bassano perturbe la séparation entre la scène figurative représentée et les genres du paysage ou de la nature morte. Le naturalisme de Bassano apparaît pleinement dans ces œuvres, où l'ambiance est empreinte d'une atmosphère crépusculaire, de sorte que la poésie se trouve pleinement incarnée dans le vibrant lyrisme de la lumière3.

Les Eléments empruntent une iconographie de Marchés venue de l’Europe du Nord, créée par Pieter Aertsen et Joachim Beuckelaer, véhiculée ensuite par les gravures. Ce thème, souvent associé aux tempéraments humains à l’époque, est traité au même moment que Bassano par Vincenzo Campi en Lombardie, ou Bartolomeo Passerotti à Bologne, par exemple.

Le cycle des Eléments a connu plusieurs répliques qui comportent des variantes : une seconde série datant de 1579-1580 à laquelle Leandro a participé, incluait l'Allégorie de la Terre aujourd’hui conservée au Walters Art Museum de Baltimore (fig.1, 148 x 234.2 cm). On note plusieurs différences entre les deux compositions. À gauche, l’espace est moins serré, on voit une partie du corps du cerf et celui du chat en entier ; dans l’arcade du portique, un vase avec une plante remplace le couple qui entre dans le jardin et montre ses enfants qui cueillent les pommes ; dans le ciel, on note la présence de Cérès sur son char ; sur la table les assiettes sont remplies, alors qu’elles sont vides sur notre œuvre, et le sol est chargé de plus de fruits dans la réplique de Baltimore. Autant de détails décoratifs ajoutés qui incitent à penser que notre toile est la version princeps du maître.

Entre 1576 et 1577, quatre grands tableaux sont mentionnés dans la collection du cardinal Francesco de' Medici, dans sa résidence romaine de la villa Medicis, livrés le 30 juin 1579. Dans la collection des princes de Liechtenstein à Vienne, on trouve également deux Allégories de Feu et de la Terre datant du début des années 1580. Un cycle complet, provenant de la collection de Ferdinand II, le dernier roi de Naples, et autrefois à la Reggia di Caserta, est aujourd’hui conservé dans une collection privée anglaise. Une autre version de l’Allégorie de la Terre est conservée au Musée des Beaux-Arts de Quimper (143 x 185,5 cm, fig. 2), sur laquelle on trouve bien les parents dans la pergola, mais avec aussi la déesse de la Terre dans le ciel (comme à Baltimore). Citons également la série des Allégories des Éléments (Air, Terre, Feu) de la collection Feroni aux Offices de Florence, attribuée à Leandro Bassano. Citons enfin la série, les Allégories du Feu et de l’Eau, donnée à Leandro et conservée au Ringling Museum de Sarasota.

Comme le rappelle Alessandro Ballarin (op. cit., cat. exp. 2024), notre version de l’Allégorie de la Terre correspond aux dimensions des tableaux du cycle mentionné dans l'inventaire post-mortem de l'artiste, au n° 80 : un cycle entier de la série des Éléments était conservé dans l'atelier de l’artiste : « Quatre tableaux, c'est-à-dire les Quatre Éléments, largeur deux brasses et quart trois, et hauteur deux brasses » (in Verci, 1775,)4.

Notre toile est un superbe exemple du style tardif de Bassano. Dans ces années 1570, Jacopo adopte de plus en plus souvent une lumière de fin de journée, comme sur notre toile, ou plus crépusculaire. Citons comme exemples célèbres, la Suzanne et les vieillards du musée des Beaux-Arts de Nîmes, La Mise au tombeau du Kunsthistorisches Museum à Vienne ou les retables de cette période. La poésie pastorale est transcendée par la lumière de la fin du jour, non pas orangée, mais au moment de la dernière lueur bleutée et argentée du soleil derrière l’horizon. On admira les couleurs vives des vêtements, ce rose teinté de pourpre, le vert-émeraude et le rose-lilas associé dans le paysan à droite, caractéristiques du peintre, l’admirable concision de la description du tapis, et son amour pour la description de diverses espèces de plantes (le jasmin, le citronnier…) et d’animaux, comme une évocation d’une nature en harmonie, dans la campagne autour de Bassano devenue une Arcadie ou un Paradis terrestre.

 

1 Vasari (1568) soulignait que les œuvres de Jacopo étaient « très appréciées, surtout pour les petites choses et les animaux de toutes sortes » ; pour Lorenzo Marucini (1577), le peintre de Bassano « trompait, quand il le voulait, aussi bien les hommes que les animaux, en représentant d'après nature ce qui leur plaisait le plus, tant des choses animées qu'inanimées, d'une telle manière qu'il attirait les gens de tous côtés pour admirer ses œuvres ; celles-ci, où qu'elles se trouvent, sont considérées comme merveilleuses et des miracles de la peinture [...] il est excellent dans les figures et divin dans les paysages » ; R. Benedetti (1571) disait de lui qu'il était « miraculeux pour peindre des scènes pastorales ».


2 Edoardo Arslan, op. cit., Bassano, vol. I, Milan, 1960, p. 187-188. W. R. Rearick, « Jacopo Bassano’s Later Genre Paintings », The Burlington Magazine, Mai 1968, Vol. 110, No. 782, p. 241-249, et catalogue de l’exposition Bassano et ses fils dans les musées français, Paris, musée du Louvre, 1998, p. 30-36.


3 Voir catalogue de l’exposition Jacopo Bassano c. 1510-1592, édité par B.L. Brown et P. Marini, Bassano, 1992 et Kimbell Art Museum, Texas, 1993.


4 Giambatista Verci, Notizie Intorno Alla Vita E Alle Opere De' Pittori Scultori E Intagliatori Della Città Di Bassano raccolte Ed Estese Da Giambatista Verci. Venise, 1775, p. 100.


Nous remercions Alessandro Ballarin de nous avoir aimablement confirmé l'authenticité de cette œuvre par une étude en date du 27 janvier 2024 dont une copie pourra être remise à l'acquéreur.


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