Retour en Pologne, où le capitaine est affecté auprès de l’armée polonaise qui se bat contre les Russes.
13 juin. « Ici tout le monde m’a accueilli parfaitement bien. […] pour l’instant, comme il n’y a pas d’élèves à Rembertov, on m’installe à Varsovie avec la mission d’y préparer et d’y faire quelques conférences.
Mon impression générale est médiocre, en ce qui concerne ce pays. Sans doute avez- vous pu discerner à travers les communiqués orientaux de fond et de forme l’échec de l’offensive sur Kiev, la perte de l’Ukraine, et la menace croissante aux frontières actuelles de la Pologne d’une armée russe où renaît contre un ennemi séculaire le sentiment national. D’autre part la situation économique est fort inquiétante. La misère ne cesse de s’étendre. La vie double de prix tous les trois mois. Le mark polonais est la plus basse unité monétaire du monde actuellement (à l’exception du rouble) et rien ne fait prévoir qu’il va remonter. J’estime que si la Pologne veut vivre il est grand temps qu’elle se modère, qu’elle signe la paix avec les Russes et modestement qu’elle s’entende avec ses voisins Lithuaniens, Allemands et Tchèques et qu’elle se mette au travail »…
3 juillet. « Les Russes ont gagné largement la première manche contre les Polonais. Ils vont entamer la seconde d’un jour à l’autre, sans doute sous la forme d’une offensive dans la direction de Minsk cette fois. Ce qu’il y a de plus inquiétant ce n’est pas tant le recul des troupes polonaises, que le désarroi de l’esprit public. Le monde politique en particulier, au lieu de se mettre d’accord et de soutenir un gouvernement quel qu’il soit jusqu’à la fin de la crise, ne fait que redoubler ses divisions et ses intrigues. Depuis la perte de Kiev il y règne une amertume croissante, les ambitions et les rancunes apparaissent au grand jour, et il n’y a pas moyen littéralement depuis un mois de constituer un ministère qui tienne trois jours debout. D’autre part, la rupture des négociations avec Krassine nous ôte la possibilité de tirer la Pologne d’affaire – au cas où sa situation se gâterait complètement – par la voie diplomatique. Alors ? Allons-nous être amenés à intervenir ici les armes à la main contre les Russes ? C’est bien scabreux, d’autant que nous avons fort à faire ailleurs, et que nous serons seuls ici. L’avenir de la Pologne m’apparaît donc comme fort sombre si quelque fait nouveau ne vient pas à bref délai bouleverser la situation »…
LNC, I, p. 498-499.