Beau texte de jeunesse sur le patriotisme.
Le titre a été donné par l’amiral Philippe de Gaulle, lors de l’édition dans les Lettres, notes et carnets, avec cette note : « Cette conférence a probablement été prononcée au cours de l’année 1913 ». Le manuscrit présente des ratures et corrections ; il est paginé 1-3 à 10, mais le 2e feuillet a dû être supprimé et remplacé par une addition en tête de la page 3 ; la fin manque, ou le texte est resté inachevé.
Cette conférence sur le patriotisme s’inscrit, comme l’indique le premier paragraphe, dans le cadre d’« essais oratoires » faits devant des camarades. De Gaulle souligne que son propos n’est pas puisé dans les livres, mais « au plus intime de mes propres convictions ».
Le patriotisme est d’abord « une sorte de patrimoine de race, qui porte l’homme à préférer tel peuple plutôt que tel autre ; on peut l’attribuer ensuite à l’amour naturel de chacun pour le sol qui l’a vu naître et grandir, pour les objets qui ont entouré son enfance et sa vie, pour la terre qui contient les cendres de ses aïeux ; une autre raison est encore la préférence de chacun pour les hommes dont le caractère, la langue, les mœurs, les traditions sont les mêmes que les siens. Enfin, surtout pour ceux qui, comme vous, ont le privilège d’étudier plus que d’autres les grands exemples de l’Histoire, notre patriotisme est un amour profond pour une nation qui, à toute époque, a tiré son épée, enfanté ses savants et ses théosophes, versé le plus pur de son sang pour toutes les grandes causes et renversé les obstacles que les peuples et les individus avaient jetés au travers de la civilisation »
C’est un sentiment réellement généreux et désintéressé, qui a inspiré de magnifiques exemples : Jeanne d’Arc, Duguesclin ou Montcalm… De Gaulle cite Michelet, avant d’affirmer : « Dans toutes les sociétés où la valeur morale décroît, l’amour de la patrie s’émousse car il est impossible que, dans le cœur d’hommes corrompus, germe et se développe un sentiment capable d’enfanter des héros. C’est l’histoire des Perses, des Égyptiens, des Grecs, de Rome même. Pouvons-nous penser sans frissonner que demain peut-être ce sera celle de la France, si nous, qui représentons ce que la jeunesse a de plus enthousiaste et de plus généreux, si nous ne développons chaque jour dans nos âmes la foi sacrée du patriotisme, afin d’en enflammer les autres ? »… Il faut certes combattre le chauvinisme. « Mais il faudrait encore savoir si l’on aimera jamais assez sa patrie, si l’on chérira suffisamment sa mère. Et que l’on songe d’autre part que c’est cet ardent amour, jugé excessif par quelques-uns, qui a créé la France et qui l’a défendue depuis quatorze siècles. Il fallait bien que Vercingétorix, que Jeanne d’Arc, que Villars fussent des chauvins pour avoir accompli les exploits que l’Histoire nous a transmis ; et ce ne sont certes pas des sentiments patriotiques raisonnés et discutés qui dirigèrent le bras de Duguesclin ou de Bayard. Le patriotisme est une véritable foi, il ne peut s’accroître en discutant, on ne doit pas lui commander mais on a le devoir de lui obéir »… Etc.
De Gaulle fustige au passage les antimilitaristes : « Certes, la guerre est un mal, je suis le premier à en convenir, mais c’est un mal nécessaire. La guerre est une de ces grandes lois des sociétés auxquelles elles ne peuvent se soustraire et qui les chargent de chaînes en les accablant de bienfaits. Rien ne sait davantage réveiller dans un peuple les mâles vertus et les nobles enthousiasmes que le sentiment de la patrie en danger. Rien ne porte à sa valeur morale de plus funestes coups qu’une longue paix, et des coups d’autant plus terribles qu’ils sont moins soudains et peu sûrs. C’est l’histoire des Perses, efféminés et affaiblis par leur mépris du métier des armes et chez qui les vices régnaient en maîtres. L’explication de ces faits historiques n’est pas difficile à fournir. Les vertus d’un guerrier, tout en pouvant paraître brutales à certains, n’en sont pas moins absolument généreuses et désintéressées. En voyant sa patrie menacée par des ennemis ambitieux, le citoyen comprend de suite la nécessité où il se trouve de rester viril pour la mieux défendre. Tandis qu’une paix prolongée provoque l’amour du gain et le désir du vice. Certes, la guerre traîne après elle bien des maux ; certes ce serait un grand crime pour un peuple que de la déchaîner sans raison, mais c’en serait un autre que de vouloir la détruire […] La guerre est une loi de la nature, et la nature ne veut pas qu’on porte atteinte à ses lois »…
LNC, I, p. 70-77.