Commentaire :
Douleur ? Fatigue ? Colère ? Quel sentiment est à l'origine de l'expression contrariée de cet homme ? Diverses interprétations sont possibles. De toute évidence, le peintre souhaite ici prouver son habileté à rendre la violence des affects. La description psychologique de cet homme qui ouvre la bouche pour y laisser échapper un cri ou un bâillement passe non seulement par les muscles tirés autour de sa mâchoire, mais aussi par ses yeux plissés, ses sourcils froncés et son nez et ses joues rouges. Le plan rapproché adopté offre à l'artiste la possibilité de déployer son savoir-faire dans la traduction de sentiments humains à travers une représentation minutieuse de l'expression faciale.
Le peintre Pieter II Brueghel est connu pour avoir travaillé d'après les prototypes de son père, Pieter Brueghel l'Ancien, dont il multiplie les versions. Si Pieter le jeune n'a que cinq ans à la mort de son père, il parvient à assimiler ses procédés picturaux et ses thèmes de prédilection. Reçu à la Guilde comme franc-maître en 1585, il devient rapidement un artiste recherché à la tête d'un important atelier. Nous connaissons une autre version de notre tête d'homme la bouche ouverte au sein des collections des musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (n° inv 6509) dont l'attribution a longtemps été débattue1 (fig.1). Dans son étude sur la version de Bruxelles, Klaus Ertz insiste sur la qualité supérieure de notre tableau et de manière générale, les historiens de l'art s'accordent sur une attribution à Pieter II Brueghel en ce qui concerne notre œuvre. Nous connaissons par ailleurs une gravure de Lucas Vorsterman (1595-1675) qui figure notre homme malade dont la lettre contient une attribution à Brueghel (Metropolitan Museum, no d'inventaire : 53.601.339(26) (fig.2). Elle semble, selon Klaus Ertz, prendre notre œuvre comme modèle. L'inventaire de Rubens dressé en 1640 signale " Un bailleur, du vieux Breugel " et " un visage de geux en rond, du dict Breugel "2. Peut-être notre œuvre se trouvait-elle dans la collection de Rubens à laquelle Lucas Vorsterman, qui travaillait à l'interprétation des œuvres du peintre anversois, a sans doute eu accès pour réaliser son estampe.
Si aucun prototype de Pieter l'Ancien ne peut être attesté pour cette peinture, il est toutefois probable que Pieter le Jeune se soit inspiré de la production de son père. Ainsi, dans le même esprit que notre tableau, nous connaissons ainsi une 'Tête de vieille villageoise' (Munich, Alte Pinakothek, no 7057) représentée de près, mais de profil cette fois, la bouche ouverte. La production de médaillons ronds peints sur bois est également attestée au sein du corpus du père. Ce format fut ensuite repris à de très nombreuses reprises par Pieter le Jeune3.
D'autres artistes du XVIIe siècle mettront leur talent au service de la traduction des sentiments humains. A travers sa production de tronies et de scènes de tavernes, Adriaen Brouwer s'illustra par son style nerveux et sa touche enlevée dans la représentation de personnages agités par de violentes émotions.
1. Voir sur cette question, L. Silver 'Peasant Scenes and Landscapes : the Rise of Pictorial Genres in the Antwerp Art Market', Philadelphie, 2006, p. 299-300, note 66
2. Jeffrey Muller, 'Rubens : The Artist As Collector', Princeton, 1989, p. 129, n° 197 et 198
3. Georges Marlier, 'Pierre Brueghel le Jeune', Bruxelles, 1969, p. 141-168