Commentaire :
Le goût pour l'art flamand et hollandais fut toujours prononcé en France, depuis l'époque de François Ier. De nombreux artistes du Nord s'installent également en France au XVIIe siècle, perpétuant cette proximité. Les amateurs français de peinture restent fidèles à cette affinité nordique au XVIIIe siècle. Après la fin de la Guerre de Sept ans en 1763, la peinture nordique fait à nouveau fureur à Paris.
C'est ainsi qu'à l'été 1773, muni de son " Voyage Pittoresque dans la Flandre et le Brabant ", un guide écrit en 1769 pour les amateurs d'art par le peintre Jean-Baptiste Descamps, Jacques-Onesyme Bergeret de Grandcourt prend la route des Anciens Pays-Bas, accompagné de Fragonard, qu'il décrit dans la relation de son voyage d'Italie qu'il entreprendra dans la foulée en octobre 1773 comme " peintre excellent pour son talens (…) très commode pour voyager ".
Fragonard, épris depuis sa jeunesse des paysages de Ruysdael, peignait aussi des têtes d'expressions dans le goût de Rembrandt. Il copiera aussi au cours de ce voyage la célèbre " Ronde de nuit " à Amsterdam1. A Bruxelles, il copie au lavis des Rubens qui appartenaient au banquier belge Daniel Danoot2, ainsi que cet autoportrait de Rembrandt (fig. 1). Le tableau avait appartenu au comte de Vence, à Paris jusqu'en 1761, puis est mentionné en 1767 dans la collection Henessy à Bruxelles, avant de passer dans la collection Danoot (aujourd'hui Londres, Kenwood House).
L'autoportrait de Rembrandt, magnifique évocation du peintre sondant son âme au travers de son image, est retranscrit par Fragonard avec une vivacité plus légère, qui ramène à la vie les traits du modèle : deux grands artistes se rencontrent et dialoguent au travers de leurs œuvres respectives. Le visage de Rembrandt, vu par Fragonard, s'adoucit dans l'expression, qui devient presque enjouée, tout en gardant ses rondeurs, exprimées par un crayon nerveux et sinueux, souligné de fines variations au lavis. La retranscription au lavis s'attache à rendre l'expressivité des traits, et Fragonard ne s'attarde pas sur les vêtements, qu'il indique avec des touches de lavis brusques, simplifiées, pour camper la silhouette : Fragonard va droit à l'essentiel.
A partir d'une ancienne photographie de l'œuvre reproduite par Ananoff, Madame Eunice Williams avait conseillé à Madame Sophie Raux de considérer son authenticité avec réserve3. Sur la base d'une meilleure photographie récente, Madame Eunice Williams nous a confirmé l'authenticité pleine et entière de cette œuvre.
1. Voir S. Raux, 'op. cit.', p. 13.
2. 'Ibid.', p. 19.
3. 'Ibid.', p. 21.