Commentaire :
" Religieux, prélat, poète ensemble, sévère et satyrique, il réunissait des qualités, frappantes et opposées ", tels sont les mots avec lesquels l'écrivain Hortense Allart décrit son premier amant Anthony Sampayo dans son roman publié grâce à Chateaubriand dans les années 1830. Opposés sont aussi ce portrait à l'Antique, figé dans le marbre, pétri d'un esprit néoclassique pur et sévère et la vie tumultueuse de ce fils d'ancien consul général de Portugal en Angleterre.
Né à Cork en 1785, notre homme, fervent catholique, a non seulement été l'époux de Blanche Liévine Sophie Buffault, nièce de la célèbre Laure Guesnon de Bonneuil, comtesse Regnault de Saint-Jean d'Angély, mais aussi le premier amant et le héros du deuxième roman de Hortense Allart, grande femme de lettres de la veine romantique. Il rencontre son épouse puis sa maîtresse à l'abbaye de Val qui n'est autre que la demeure de la comtesse. " Ma jeunesse a été formée par Sampayo, un grand esprit, au dire de ceux qui l'ont connu, mais un esprit dédaigneux qui, à part la politique et le sublime, ne voyait rien. " écrit Hortense à son ami intime, l'écrivain Sainte-Beuve des années plus tard. Quittant la France et son amant alors qu'elle est enceinte quelques mois après leur rencontre, cette jeune femme libre et passionnée gardera toute sa vie une admiration sans faille pour cet aristocrate délicat.
Sampayo a très certainement été familiarisé au " Sublime " de l'art grâce aux liens qui l'unissaient aux Saint Jean d'Angely, eux même proches de la famille impériale, amateurs d'art, collectionneurs, et même bienfaiteurs du sculpteur Bartolini. Lors d'un séjour à Rome, Sampayo rencontre le célèbre sculpteur danois Thorvaldsen en 1833 à qui il commande pour son frère un 'Amour'. Les archives Thovaldsen (m18 1833, nr. 116) mentionnent également plusieurs autres œuvres commandées à " son élève et ami Mr. Bienaimé ", un " saint Jean ", et un "premier buste". Les archives sont lacunaires et nous n'avons pas trouvé mention du " deuxième buste " qui permettrait de déterminer si notre portrait est précisément celui d'Anthony ou de son frère. Cette information dans les archives met en exergue les liens étroits qui unissent le célèbre sculpteur danois, chef de fil du néoclassicisme à Rome avec Luigi Bienaimé. Né à Carrare, Bienaimé commence en tant qu'élève puis devient le chef de l'atelier de Thorvaldsen. Ce dernier l'encourage aussi à exercer son art de manière indépendante, comme en témoigne notre commande réalisée probablement vers 1833 avant la mort du sculpteur danois (1844). Ils partagent alors les mêmes commanditaires, ici le comte de Sampayo, mais aussi le duc de Devonshire (copies d'antiques pour le jardin de Chatsworth House), le tsar Nicolas Ier ('Portrait du Tsar', 1846, marbre, Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage, n°inv. ?.??-1363) ou encore le prince Alessandro Torlonia ('Vénus', 1842, Rome, Palazzo Corsini).
Ce rare portrait identifié de l'artiste Bienaimé témoigne de l'empreinte de son maître Thorvaldsen par la synthèse, l'épure et la force froide de ce buste à l'antique.