Commentaire :
Commandés en 1859, ces deux tableaux ornaient le salon de l'hôtel de la comtesse de Nadaillac rue Raynouard à Passy. Issue d'une famille de banquiers protestants, Cécile Delessert, veuve à 23 ans, épousa en 1852 en seconde noces le colonel Sigismond du Pouget, comte de Nadaillac. Elle devint dame d'honneur de l'impératrice, son amie d'enfance, et côtoya la Cour et la haute société parisienne. Elle accompagna régulièrement Eugénie à Biarritz et assista à l'inauguration du canal de Suez en 1869. Elle était elle-même artiste - ses recueils d'aquarelles sont conservés au Museum d'histoire naturelle de Paris - et Baudry l'avait portraiturée en 1858.
Les deux esquisses de nos tableaux ont été exposées au Salon de 1861 (n°152 et n°153) et ont appartenu à la marquise Arconati-Visconti1. Plus accessibles que nos grands formats, elles ont été volontiers commentées par les critiques, et de façon enthousiaste par Théophile Gautier². Ephrussi écrit à leur propos : "D'un côté, sur une draperie bleue, de ce bleu turquoise vif qui semble trouvé dans un jour d'enthousiaste gaieté, lambeau déchiré dans le tissu azuré du ciel, Cybèle embrasse un petit génie près de ses lions dételés, pendant qu'un autre génie plonge ses doigts dans leurs fauves crinières ; de l'autre côté, sur une draperie du même bleu, Amphitrite ajuste sa coiffure devant un miroir que lui présente un enfant ailé; au second plan, près de la proue d'une galère antique, un autre enfant sonne de la conque marine. Ce ne sont que deux beaux corps de femmes allongés dont l'épiderme transparent est animé d'une lumière blonde et dorée, mais cela suffit au peintre, grâce au choix heureux de l'entourage, à l'imprévu des attitudes, à l'élégance du dessin, à la rareté de la couleur, pour faire ce qui n'a point été fait depuis le commencement du siècle". Ces petites versions furent aussi diffusées par des gravures dans la Gazette des Beaux-Arts3.
Nos pendants furent réalisés deux ans après le retour du peintre de la villa Médicis, où il séjourna cinq ans en tant que Premier Grand Prix de Rome. Il fut par la suite particulièrement sollicité pour des décors, parmi lesquels notamment Les quatre saisons (1857, aujourd'hui à l'hôtel Marigny-Rothschild), deux dessus-de porte, Diane et Vénus pour l'hôtel Achille Fould en 1858 (Chantilly, musée Condé), les décors de l'hôtel Galliera et de l'hôtel de la Païva sur les Champs-Elysées en 1863, celui du Grand foyer de l'Opéra de Paris (1865-1874) et trois plafonds pour l'hôtel de W. K. Vanderbilt à New York en 1882.
La pose de la Cybèle, les corps nacrés, la coquille aux pieds d'Amphitrite annoncent le célèbre tableau La Perle et la Vague du musée du Prado à Madrid, qui fut confronté au Salon de 1863 à deux Naissance de Vénus, respectivement par Cabanel (Paris, musée d'Orsay) et Amaury-Duval (Lille, musée des Beaux-Arts). Avec sa virtuosité habituelle, Baudry mêle ici la sensualité des Vénus de Titien et de Corrège à la pureté de la ligne ingresque dans cette réinterprétation des sujets mythologiques classiques.
1. Sur panneaux, 19 x 31,50 cm, voir cat. exp. 1886, n°68 et 69.
2. 'Abécédaire du Salon de 1861', Paris, 1861, p. 41-42.
3. Pour Amphitrite : livraisons de mai 1861, t. X, p. 211 et de juin 1874, t. IX, 2e période, p.539 et en héliogravure par Dujardin pour Cybèle, en juin 1886, t.33, 6e livraison, p. 498.