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Attribué à Jan Cornelisz. Vermeyen Beverwijk, vers 1504 - Bruxelles, 1559
Portrait de l'empereur Charles Quint
Estimation :
120 000 € - 150 000 €
Vendu:
156 000 €

Détails du lot

Portrait de l'empereur Charles Quint
Huile sur panneau de chêne

Une ancienne étiquette annotée 'Philippe Second / Roy d'Espagne' au verso

Dans un cadre richement sculpté et doré, travail français d'époque Louis XIV

Portrait of the Holy Roman Emperor Charles V, oil on panel, attr. to J. C. Vermeyen

Provenance :

Succession d'Assigny, février 1981, selon une étiquette au verso ;
Dans la famille des actuels propriétaires depuis au moins la seconde partie du XIXe siècle ;
Collection particulière, Troyes

Commentaire :
Il régnait sur un Empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais. Jamais un prince ne posséda tant de royaumes. Des Amériques aux Flandres, des régions de l'Est de l'Europe au royaume de Naples, le jeu des alliances matrimoniales avait fait de Charles Quint l'héritier de territoires à la diversité folle.
Par son père Philippe le Beau il reprit l'héritage bourguignon de sa grand-mère Marie de Bourgogne et l'héritage des provinces impériales de son grand-père Maximilien de Habsbourg. Par sa mère Jeanne la Folle il reçut l'Espagne unifiée de ses grands-parents les Rois catholiques et leurs immenses possessions sur les récentes conquêtes aux Amériques. Ainsi doté par sa naissance, le voilà armé pour briguer le pouvoir suprême lors de l'élection au trône impérial en 1519. Brillamment aidé par le banquier Jacob Fugger, il ose ce que le jeune François Ier n'ose pas : il organise financièrement son élection.
L'échec de la France à monter sur le trône impérial sera le drame d'une vie pour le jeune Valois qui nourrira une rancœur éternelle envers son rival.
A partir de 1515, la politique européenne s'organise autour des deux pôles français et Habsbourg avec pour terrain de jeu favori la plaine lombarde. Tantôt la France l'emporte (Marignan, 1515), tantôt l'Empire (Pavie, 1525).
Limiter la compréhension de vie de Charles Quint à des jeux de rivalités et de conquêtes serait passer à côté de la grande affaire du XVIe siècle : les questions religieuses et les grandes mutations du début du siècle qui sont à l'origine du monde moderne, et c'est sur ce point précisément que Charles Quint semble avoir été défaillant. Le grand empereur ne mesura pas immédiatement le raz de marée qui était en train de submerger l'Eglise catholique et la gestion du " cas Luther " fut totalement sous-estimée dès la diète de Worms en 1521. Les idées nouvelles emportèrent l'adhésion de quelques princes allemands, souvent par opportunisme politique, puis fleurirent à travers l'Europe. Fermer les yeux et laisser ses troupes fondre sur Rome en 1527 fut l'acte irréparable de Charles Quint qui passera le reste de son règne à devoir régler les problèmes religieux qui anéantirent la paix et l'équilibre de l'Europe.
Voyageant en permanence pour rejoindre chacune de ses principautés souvent séparées par des voisins ennemis, les historiens estiment que l'empereur passa le tiers de sa vie sur les routes à cheval ou dans sa litière. Epuisé physiquement et moralement par l'exercice du pouvoir, il abdique à Bruxelles le 25 octobre 1555 - en présence notamment des chevaliers de l'ordre de la Toison d'or auquel il était particulièrement attaché - et scinde son Empire en deux : à son fils Philippe II revient le trône d'Espagne muni des richesses de ses colonies et à son frère Ferdinand les possessions Habsbourg et le trône impérial. Transmettre ainsi de son vivant son pouvoir est un acte alors inédit et d'une grande modernité et révèle chez Charles Quint un sens aigu de l'exercice du pouvoir et une capacité à privilégier la fonction incarnée à la personne du souverain. Mais le bilan est amer car de sa retraite de Yuste Charles Quint constate avoir échoué dans son rêve de refondation d'un grand empire universel et chrétien.

L'iconographie de Charles Quint est d'autant plus variée que son Empire était vaste. Les portraits successifs de l'Empereur témoignent à la fois de la diversité des artistes amenés à fixer ses traits - actifs dans différents états et héritiers de différentes traditions - et de l'évolution des modes et du goût tant vestimentaire que pictural. A l'image du jeune prince imberbe aux cheveux mi- longs transmise par Bernard Van Orley (fig. 1) succède, dans les années 1530, après le sacre de Charles Quint par le pape, celle d'un souverain plus mûr, à la mise sobre et portant la barbe. De Titien (fig. 2) à Lucas Cranach, les plus grands peintres de la Renaissance portraiturèrent un César tantôt idéalisé, tantôt porteur de l'héritage physique des Habsbourg, un menton prognathe auquel Charles Quint n'avait pas échappé.
Né au Nord de Haarlem, Jan Cornelisz. Vermeyen n'était pas le moindre de ces artistes et fut particulièrement attaché au service de l'empereur et de sa famille. La légende, sous la plume de Carel van Mander, raconte que le peintre et son illustre modèle seraient nés la même année, marquant ainsi l'aube d'un glorieux destin commun1. La véritable date de naissance du peintre n'est cependant pas connue et le hasard qui mit Vermeyen sur le chemin de Charles Quint ne fut autre que la tante de ce dernier, Marguerite d'Autriche, régente des Pays-Bas espagnols, qui avait pris le peintre à son service en 1525. En 1530, il l'accompagne à la Diète d'Augsbourg et à Innsbruck et peint pour elle des portraits de la famille impériale, dont celui de Charles Quint qu'il rencontre sans doute alors pour la première fois. Marguerite d'Autriche meurt en décembre de la même année et Vermeyen, après avoir travaillé quelques temps pour Marie de Hongrie, embarque avec Charles Quint pour Tunis en 1535 et réalisera à son retour les cartons de la célèbre tenture de la Conquête de Tunis².

Les portraits de Charles Quint attribués à Vermeyen ou rapprochés de sa production présentent tous une typologie commune : représenté en buste, légèrement de trois-quarts et regardant vers la droite, l'empereur barbu et coiffé d'un sobre chapeau se détache sur un fond uni. Son vêtement est généralement sombre, simplement relevé par le collier de l'ordre de la Toison d'or et les mains expressives semblent relayer la parole. Au sein de cette production, le portrait inédit que nous présentons est l'une des versions les plus séduisantes à l'exécution particulièrement aboutie, dont tout la subtilité est intacte, préservée par un remarquable état de conservation. Le peintre a rivalisé de précision en détaillant minutieusement la chevelure et la barbe de l'empereur, en nuançant les carnations et en l'habillant d'un riche pourpoint brodé bleu et noir. Une version au cadrage moins resserré nous révèle les gants de cuir que Charles Quint tient dans sa main gauche et le coussin brodé d'or sur lequel ils sont posés3. Dégageant assurance et mesure, l'empereur est ici dépeint au sommet de sa gloire et de son pouvoir. Son regard haut porte loin et la position de sa main n'est pas sans rappeler celle du Christ Salvator Mundi ou encore d'un prince de paix tenant la boule de pouvoir tel Charlemagne qui reste pour chaque prince européen un modèle universel.

1. H. J. Horns, 'Jan Cornelisz Vermeyen : painter of Charles V and his conquest of Tunis', Doornspijk, 1989, t. I, p. 5.
2. Une grande partie de ces cartons sont aujourd'hui conservés à Vienne, au Kunsthistorisches Museum.
3. Selon les archives Friedländer, ancienne collection J. Seligmann, référencé dans la base du RKD sous le n° 29227.

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