Commentaire :
Les arts décoratifs atteignirent au XIXe siècle un exceptionnel degré de raffinement et le premier Empire fut un véritable âge d'or pour les ébénistes, doreurs, ornemanistes, orfèvres et tous les artistes et artisans qui mettaient leur talent et leur savoir-faire au service du décor intérieur et de l'art de vivre.
Les arts de la table n'échappent pas à cette règle et les manufactures de porcelaine connaissent une activité florissante, notamment sous l'impulsion de l'impératrice Joséphine qui appréciait particulièrement cette production. Les fonds des assiettes et des plats, la panse des vases d'apparat s'ornent de scènes peintes, devenant le support de la propagande impériale avec des épisodes des campagnes napoléoniennes. Si la manufacture de Sèvres continue à travailler pour l'Empereur, d'autres ateliers ont les faveurs des souverains, et notamment la manufacture parisienne de Dihl et Guerhard. Cette dernière, à laquelle nous devons la réalisation des deux plaques que nous présentons, avait notamment la préférence de Joséphine de Beauharnais. Elle leur commanda un important service, qui sera livré entre 1811 et 1813, après son divorce avec Napoléon, et son fils le prince Eugène également. Ces deux services comptaient près de 130 assiettes " à tableaux ", reproduisant des peintures d'artistes appréciés de Joséphine, d'après les maîtres hollandais mais également d'après les peintres en vogue du moment. C'est dans ces reproductions de tableaux que la manufacture Dihl et Guerhard excellait. Au sein du service du prince Eugène se trouvaient deux assiettes d'après les premiers succès du peintre précurseur du courant troubadour Fleury Richard : Valentine de Milan pleurant la mort de son époux et Charles VII écrivant ses adieux à Agnès Sorel. Les deux tableaux appartenaient alors à la collection de Joséphine et étaient exposés dans son appartement aux Tuileries.
Datées de 1810, nos deux plaques de porcelaine précèdent de peu les assiettes du prince Eugène. Le courant troubadour est alors à son apogée et personne n'a oublié ses prémices et les deux compositions de Fleury Richard. Lors de son exposition au Salon de 1802, Valentine de Milan avait remporté un immense succès. Richard avait trouvé l'inspiration en visitant le musée des Monuments français où se trouvait le tombeau de son héroïne. Fille du duc de Milan Jean Galeas Visconti, Valentine avait épousé le frère du roi de France Charles VI, Louis d'Orléans. Il sera assassiné par son cousin le duc de Bourgogne Jean-sans-Peur en 1407, laissant sa veuve inconsolable. Prenant pour devise " Rien ne m'est plus, Plus ne m'est rien ", que nous pouvons lire sur le parchemin placé devant elle, elle se retire à Blois où elle mourra en 1408. Charles VII écrivant ses adieux à Agnès Sorel fut commandé à Richard par Maurin qui avait acquis Valentine de Milan après le Salon de 1802 et désirait lui adjoindre un pendant. L'épisode se passe environ 40 ans après la mort de Valentine : Charles VII, partant en campagne contre les Anglais, trace à l'épée sur le dallage de sa chambre des mots d'adieu à l'attention de sa jeune et belle maîtresse Agnès Sorel.
Nous connaissons peu de choses sur le peintre Henry Baup, miniaturiste originaire de Nyon qui travailla quelques temps pour la manufacture de Dihl et Guerhard. La porcelaine se prêtait parfaitement à la reprise de ces deux célèbres compositions. Elle permet en effet de souligner leur préciosité et leur finesse dans le rendu des détails et des éléments historiques. La transparence du rideau vert qui recouvre le vitrail de la chambre de Valentine de Milan est particulièrement remarquable.