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Adriaen Hanneman (1604-1671)
Portrait d'homme tenant un collier de perles
Estimation :
40 000 € - 60 000 €
Vendu:
40 300 €

Détails du lot

Portrait d'homme tenant un collier de perles
Huile sur toile

Datée 'An. 1636' à gauche sur le pied de la colonne
(Restaurations)

Portrait of a man holding a pearl necklace, oil on canvas, dated, by A. Hanneman

Provenance :

Collection particulière, Autriche

Commentaire :
Notre œuvre revêt indéniablement un caractère énigmatique, ambigu, qui rend fascinante son analyse et palpitante sa contemplation. Si le premier coup d'œil rend hommage à un morceau de peinture ambitieux, intense, à l'image du regard du modèle, le spectateur éclairé doit ensuite se consacrer à la lecture du tableau. Car l'identité du modèle, ainsi que son rapport à la perle et même le sens de la présence de ce bijou encore rare au XVIIe siècle, restent incertains et l'objet de notre étude sera, dans une démarche iconologique, de tenter d'apporter les réponses aux questions soulevées.

Adriaen Hanneman est un peintre hollandais du Siècle d'or, né en 1604 à La Haye, et mort dans la même ville en 1671. La carrière et le talent de cet artiste doivent beaucoup au voyage qu'il entreprit à Londres et à la rencontre décisive qu'il y fera avec celui qui deviendra l'un des plus grand portraitistes de son temps et qui le marqua profondément : Antoine van Dyck. Mais avant cela, Adriaen Hanneman fut, dès 1619, l'élève d'Anthony van Ravesteyn, portraitiste réputé de La Haye. Il ancre alors son art dans le genre du portrait, et une fois sa formation artistique terminée, il quitte l'atelier de son maître et La Haye pour s'installer à Londres. Nous sommes en 1626, et la peinture officielle outre-Manche est encore dominée par un autre peintre hollandais, Daniel Mytens, arrivé sur les bords de la Tamise en 1619. Mytens est alors le peintre le plus important de la Cour et ce, jusqu'à l'avènement du génial van Dyck en 1632. D'abord influencé par Mytens, Hanneman fut ensuite profondément marqué par l'art d'un van Dyck dont le style élégant et raffiné emporta les faveurs de la haute société britannique et contaminera toute une génération de peintres.

De retour à La Haye en 1640, notre artiste va pratiquer l'art du portrait tel que van Dyck a pu lui enseigner lors de leur séjour londonien. Au milieu du XVIIe siècle, la demande de portraits explose dans la région, et c'est bien le style van dyckien qui est plébiscité par les commanditaires. En effet, outre la clientèle locale importante, de nombreux immigrés anglais, fuyant les guerres civiles opposant parlementaires et royalistes, s'installent dans le nord de l'Europe. Hanneman jouit alors d'une réputation grandissante : il est celui qui a côtoyé le maître et dont l'art tend à s'en approcher le plus. A tel point qu'en 1661, l'influent Cornelis de Bie, le décrira comme le contrefacteur du style de van Dyck. Ce qui peut paraitre de prime abord comme une attaque à son art est en réalité un compliment déguisé, reconnaissant à Hanneman, si ce n'est l'inégalable talent de van Dyck, au moins la capacité à l'effleurer du bout de son pinceau. C'est notamment le cas dans son portrait du Duc de Gloucester dont l'attribution fut sujette à débat, certain y voyant une œuvre du maître anversois. La paternité à Hanneman ne fait désormais plus aucun doute, il s'agit sûrement là d'un de ses plus grands chefs-d'œuvre (c. 1653, National Gallery of Art, Washington).

L'œuvre que nous présentons fut réalisée dans un moment clé de la carrière de l'artiste. Ce dernier semble alors sur de son fait, en témoigne la perfection technique de ce portrait qui atteste indubitablement d'un art déjà fortement influencé par van Dyck. En effet, notre tableau, daté de 1636, fut réalisé par Hanneman lors de son séjour à Londres. Cela fait alors dix ans que notre artiste habite l'Angleterre mais surtout près de quatre années qu'il côtoie le maître flamand. Nous retrouvons dans notre portrait cette matière typiquement van Dyckienne dans les chairs blanches presque crémeuses du modèle, ainsi que dans son habit au rendu à la fois brillant et vaporeux. Finalement, ce portrait s'inscrit parfaitement dans cette double influence flamande et aristocratique que connait le genre du portrait en Angleterre à cette époque.

La singularité de cette œuvre réside dans le détail du collier de perles que tient l'homme et qui, selon l'interprétation que nous pouvons lui donner, nous révèle quelques indications. La première lecture, qui semble être la plus intuitive, reviendrait à penser que le modèle était un bijoutier. En effet, durant la première moitié du XVIIe siècle, le commerce international connait un développement vertigineux. Une nouvelle bourgeoisie voit le jour avec des moyens importants, provoquant la naissance d'une économie nouvelle dont le marché de la bijouterie profita. Le bijou était jusque-là, une rareté réservée aux nobles, mais l'avènement de nouvelles richesses modifia ces conjonctures historiques. Ainsi, la théorie selon laquelle notre modèle serait un bijoutier de l'Angleterre du début du XVIIe siècle se tient parfaitement. Celle-ci s'appuie également sur les relations que pouvaient entretenir Adriaen Hanneman avec un autre peintre hollandais installé à Londres à cette date, Cornelis Jonson van Ceulen. En effet, nous savons que Hanneman et Jonson travaillèrent ensembles, et que la sœur de ce dernier fut mariée avec le célèbre bijoutier et marchand d'or Nicasius Roussel, qui travailla notamment au service du Roi Charles Ier et de sa cour. Ainsi, notre modèle pourrait être, non pas Nicasius Roussel, âgé de près de 70 ans en 1636, mais plutôt l'un de ses fils qui l'aurait suivi dans la même voie. Afin de corroborer cette hypothèse, il nous semble important de mentionner l'existence d'un portrait attribué à Cornelis Jonson van Ceulen réalisé la même année que celui que nous présentons, et dont les traits du modèle s'en rapprochent très clairement (fig. 1). Jonson aurait ainsi peint son neveu et Hanneman le fils du grand bijoutier Roussel, neveu de son ami. Toutefois, dans le portrait de Jonson, conservé à la National Portrait Gallery à Londres, le modèle ne possède aucun attribut pouvant le rattacher à la profession de bijoutier.

En 1975, dans un article sur la place et le sens de la perle dans la peinture hollandaise du XVIIe siècle1, le professeur de Jongh revient sur l'histoire de ce bijou et sur les différentes interprétations que sa présence sur la toile peut engendrer. Décrivant la fonction iconographique de la perle, il la considère selon les œuvres et son utilisation, comme la représentation du Christ et de son enseignement, de la foi, de la virginité de la Vierge, ou alors inversement comme le symbole de la vanité, ou de la séduction immorale. Il oppose ainsi les " perles de l'Evangile " ou " perles de vertu " aux " perles sataniques " ou " perles de vice ", mettant en exergue le caractère particulièrement ambigu du symbolisme de la perle. Au fil de son étude, il s'intéresse à un portrait d'homme conservé à la Dulwich Picture Gallery en Angleterre qui est en réalité une copie de notre œuvre². La paternité et la qualité de cette copie n'ont que peu d'importance pour le professeur de Jongh qui s'attache davantage à offrir une explication à la présence de ces perles sur la toile et leur rapport au modèle. Dans un premier temps, il soutient logiquement qu'il est tout à fait probable que notre modèle soit un bijoutier, ce qui mettrait fin à toute tentative d'éclaircissement. Puis, dans un second temps, rappelant qu'il n'existe aucun autre exemple connu de portrait de la même époque dans lequel un modèle masculin tient des perles dans sa main, et en outre qu'il n'existe pas d'iconographie précise pour la représentation de ce corps de métier, l'historien va tenter une lecture tout à fait différente du tableau, dans laquelle le collier de perle est porteur d'un message métaphorique. Il va ainsi arrêter son regard sur le pilier brisé dans l'arrière-plan gauche de l'œuvre, seul autre élément peint sur la toile, le portraituré se présentant devant un fond noir et neutre. Selon le professeur de Jongh, cette colonne brisée peut être perçue comme le symbole de la Force et plus particulièrement de la force spirituelle. Cette interprétation de la colonne, combinée avec celle déjà évoquée de la perle pouvant symboliser la pureté de la foi ou l'enseignement du Christ trouve un écho certain dans un contexte renvoyant aux derniers affrontements entre catholiques soutenus par Louis XIII et protestants emmenés par Charles Ier. Le modèle aurait ainsi voulu être représenté comme un homme affirmant sa foi avec force.

Ainsi, de façon tout à fait paradoxale, cette œuvre, réalisée d'une main sûre, séduisante en tout point, qui offre à voir un portrait d'homme dans la force de l'âge, le regard habité d'une autorité rassurante, inspire de nombreuses et passionnantes énigmes, encore non résolues. Adriaen Hanneman, en jouant sur l'ambiguïté symbolique de la perle comme le fit nombre de ses contemporains, peintres hollandais et flamands du XVIIe siècle, nous lègue une œuvre emplie de mystères.

1. E. de Jongh, " Pearls of Virtue and Pearls of Vice ", in 'Simiolus : Netherlands Quarterly for the History of Art', vol. 8, n° 2, 1975 - 1976, p. 69-97.
2. Il existe une seconde copie connue de notre œuvre, conservée à la Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe en Allemagne.

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