Commentaire :
Oil on cardboard, signed and dated lower left
17,52 x 13,19 in.
John Atkinson Grimshaw, peintre anglais de la seconde moitié du XIXe siècle, fut sans doute l'un des artistes les plus talentueux au service de la description d'une Angleterre victorienne en pleine révolution industrielle. Né à Leeds en 1836 au sein d'une famille modeste, rien ne laissait présager chez lui l'expression d'un talent artistique et de pareilles prédispositions à la peinture. Dès 1852, suivant la voie tracée par son père, il travaille pour la Société de Chemin de fer britannique (Great Northern Railway). Certaines interrogations subsistent quant à ses réelles motivations lorsqu'il peint ses premières toiles, néanmoins il semble falloir rapprocher la naissance de sa vocation de l'émulation artistique puissante qui grandit à Leeds au début des années 1850. De nombreuses galeries se créent et donnent l'opportunité aux artistes locaux de montrer et de vendre leur art. Grimshaw fait tout d'abord face à une opposition familiale ferme. Selon le petit-fils et premier biographe du peintre, Guy Ragland Phillips, sa mère, comme pour exprimer de la manière la plus claire son point de vue sur son choix de vie, brulait systématiquement les œuvres qu'elle trouvait. Persévérant malgré tout, et s'établissant comme artiste en dépit de l'avis de ses parents et de sa situation financière précaire, ce pur autodidacte va se confronter de façon décisive au Préraphaélisme, alors jeune mouvement artistique né vers 1848, et faire la rencontre de ses fondateurs, aujourd'hui pionniers de l'art britannique du XIXe siècle.
Les premières œuvres importantes et premiers succès de la carrière de Grimshaw apparaissent au début des années 1860 et sont largement inspirées par le mouvement préraphaélite. Il est alors rapidement considéré comme l'un des plus brillants peintres de paysages préraphaélites, mettant sa justesse d'observation, sa science du détail et la précision de son art au service d'une représentation toujours plus poétique de la nature.
" Je me considérais comme l'inventeur des nocturnes jusqu'à ce que je vois les paysages au clair de lune de Grimmy " (James McNeil Whistler)(1).
Au tournant des années 1880, Grimshaw se détache du préraphaélisme pour explorer un nouveau genre. Il devient le peintre des villes, des quartiers et des rues, théâtres des profondes transformations engendrées par la révolution industrielle. Notre artiste se fait une spécialité dans les nocturnes, qui connurent un immense succès, lesquelles reprennent souvent la même logique de composition. Notre œuvre, datée 1881, fait partie de ces premières huiles dites de la seconde manière du peintre, dans lesquelles nous retrouvons les éléments et l'émotion caractéristiques de cette série. Dans l'art de Grimshaw, le clair de lune devient l'instrument le plus précieux au service de la transmission des émotions. Motif romantique par excellence, il est un vecteur d'atmosphères uniques, suggérant à la fois le mystère et le rêve. Dans ses œuvres, et notamment celle que nous présentons, Grimshaw le marie brillamment avec la modernité. En effet, le décor est celui de l'Angleterre de son époque : une rue, éclairée par cette lune éclatante, encadrée par des arbres qui semblent n'être ici que des ombres au service de la lumière et de ses effets picturaux, au cours d'un automne traditionnellement pluvieux outre-manche. La scène est rendue dynamique grâce à la timide lumière proposée par le lampadaire, symbole de la révolution industrielle en cours, ainsi que par les silhouettes d'un personnage profitant, assis dans l'obscurité, de la quiétude de la nuit et d'une femme, anonyme, marchant vers le tournant mystérieux que semble offrir ce chemin. Ainsi, si le réalisme pictural consenti par l'artiste est indéniablement fort, l'œuvre conserve cette douceur et ce silence infiniment poétiques qui valurent à son auteur d'une part l'admiration de ses plus talentueux contemporains et d'autre part une renommée éternelle.
Nous remercions Monsieur Alexander Robertson pour son aide à la rédaction de cette notice.
1. Cité par Lionel Lambourne, 'Victorian Painting', 1999, p.112.