[Paris, Neuilly-sur-Seine, Monnaie, etc. ], 28 décembre [1839]-vers 1849-1850. Ens. environ 162 p. petit in-12, in-12 et in-8 (dimensions diverses), suscriptions et 15 enveloppes.
Exceptionnelle correspondance de Marie d'Agoult à Alfred de Vigny, conservée, à quelques lacunes près, dans son intégralité. Alfred de Vigny avait rencontré Marie de Flavigny vers 1823-1824, avant son mariage avec le comte d'Agoult. Il s'en était épris mais cette intrigue amoureuse tourna court, soit parce que la position sociale de la jeune fille et de sa famille n'était pas suffisante, soit parce que, comme le suggère Jean-Pierre Lassalle, Marie n'était tout simplement pas tombée sous le charme d'Alfred. On sait que moins de dix ans après son mariage, Marie d'Agoult abandonna sa famille pour suivre Franz Liszt à Genève et qu'elle se sépara de lui en 1839, après avoir eu trois enfants du compositeur. De retour à Paris, elle ouvrit son salon aux artistes et hommes de lettres, et écrivit elle-même sous le pseudonyme de Daniel Stern, le même pseudonyme avec lequel elle signe certaines lettres ou s'y désigne parfois de manière déguisée. L'amitié entre Alfred de Vigny et Marie d'Agoult fut fidèle et leur complicité manifeste, comme le montre cette abondante correspondance, particulièrement fournie dans les années qui suivent le retour à Paris de l'ancienne maîtresse de Liszt.
Si dans de nombreux billets, qui ne sont pourtant que de courtes invitations à lui rendre visite, Marie d'Agoult sait se montrer spirituelle, elle exprime à merveille ses souffrances, ses tourments, sa sensibilité exacerbée et ses idées, dans plusieurs longues lettres, parfois teintées d'humour : "Vous souvenez-vous encore de moi, Monsieur ? Quelques-uns me disent que oui. Combien il serait aimable de me le prouver en me permettant de vous garder une place dans un cordial souper où quelques amis viennent porter un toast à l'année 1840 !" (28 décembre [1839] ; Marie d'Agoult, ayant quitté Franz Liszt, était depuis peu de retour à Paris) ; "Vous n'aviez certainement pas fait dix pas dans la rue, hier, que j'avais déjà envie de vous écrire. Je craignais de ne vous avoir pas convaincu. Toute femme ment en pareille matière. Comment vous persuader que je dis vrai ? […] Le monde dit que je suis brouillée avec L. [Liszt] Ne le croyez pas. Je ne le suis pas ; je ne le serai jamais. Je ne veux plus entendre parler d'amour. Ce mot m'épouvante. " ([1er février 1842]) ; "Je lis, je relis, je suis charmée, ravie ! Je suis fière plus que je ne devrais de vous avoir pour ami, car enfin qu'est-ce que cela prouve pour moi ? Les plus grands poètes, parce qu'ils parent tout ce qu'ils approchent, ont précisément le droit d'aimer ce qu'il y a de moins digne. Par où commencer ? Il se fait dans ma tête une confusion dithyrambique que je voudrais vous épargner ! D'abord c'est d'une originalité charmante. La Maison du berger au milieu de la vaste bruyère et la femme souple, indolente, penchée, délicate qui s'y abrite ! Quel tableau délicieux ! Puis vous avez trouvé la poésie du chemin de fer, taureau "qui fume, beugle", ce rude aveugle (superbe !) qui porte en son sein les orages ! On ne dira pas que vous êtes le poète du passé, vous qui découvrez la poésie de l'industrie et des machines et du charbon, etc. […] Laissez-moi à mon enthousiasme et à mes bonds de gazelle. Je suis trop contente pour avoir le sens commun et vous bien expliquer pourquoi je vous admire tant !" ([vers le 20-25 juillet 1844]) ; "Un secret ! Je suis très près de vous dans le plus grand incognito, même et surtout pour ma famille. […] Demandez le pavillon d'Arménonville au bois de Boulogne près la porte Maillot et là la Csse Stern. […] Tout cela vous semble impossible. Rien n'est plus simple pourtant. C'est une solitude fantastique que je suis venu choisir à l'endroit le plus fréquenté de Paris…" (16 août [1844]) ; "À propos de postérité, je vous prie de signer vos billets. Je tiens bureau de vos autographes pour l'Allemagne ; et prévoyant les adversités d'une nouvelle révolution, je suis bien aise de me mettre en mesure d'en pouvoir vendre à bon prix. Il faut penser à tout. " (23 août [1844]) ; "J'apprends, par hasard, au fond de mes solitudes, que vous êtes à Paris. Comment n'êtes-vous pas venu m'annoncer cette Bonne Nouvelle ? Serions-nous brouillés ? J'interroge ma conscience ; elle ne m'accuse d'aucun tort. Soyez le confesseur qui m'aide à discerner mes péchés et surtout faites, en venant dans ma demeure, que je vous dise : Non sum dignus. Daniel" (8 janvier 1853).
[On joint :]
Alfred de VIGNY. 1797-1863. Réunion de 7 brouillons et minutes autographes de lettres à Marie d'Agoult. [Paris, 30 décembre 1839-30 juillet 1844]. Ens. 24 p. in-8. "Adieu la plus aimable Marie du monde, vos lettres me sont chères et le soir si vous ne dormez pas, ma chère sœur, contez-moi un de ces beaux contes que vous contez si bien, etc. , etc. Par exemple votre amitié pour moi. Est-ce un conte ?" (30 juillet 1844). Les lettres d'Alfred de Vigny à Marie d'Agoult, passées à sa fille Blandine Liszt puis à la famille Ollivier, sont aujourd'hui conservées à la Bibliothèque nationale de France.
Quelques manques, déchirures et pliures marginales, certains atteignant légèrement le texte. Quelques brunissures et trous d'épingles.
Provenance :
Archives Sangnier (cachets)
Bibliographie :
Alfred de Vigny, Correspondance, 39-137, 138 (M) ; 40-1, 6, 7 (M), 11, 18, 152, 161 ; 41-6, 11, 12, 14, 17, 39, 52, 54, 66, 83, 235 ; 42-24, 27, 166 ; 43-3, 7, 8, 11, 22, 24, 34, 37, 38 (M), 40, 43, 46, 52, 71, 74, 89, 113, 122, 127, 141, 149 M, 157, 216, 223 ; 44-15, 48, 55, 56 (M), 64, 65, 67, 77, 80, 83 (M), 88, 89, 95, 102 (M), 113, 119, 122, 133, 135, 153, 154, 161, 162, 163, 166, 168 ; 45-13, 74, 85, 90 ; 46-47, 76, 82, 83, 129, 139, 140, 151 ; 47-20, 23, 34, 39, 167 ; 48-94, 109.