Commentaire :
Voici Charles X dans cette cathédrale de Reims, où cinquante ans auparavant, le 11 juin 1775, il assistait au sacre de son frère Louis XVI. Le 29 mai 1825, le roi de France se fait sacrer en grande pompe, tentant de ressusciter un rite que les agitateurs de la Révolution avaient rendu obsolète et que son frère Louis XVIII avait judicieusement évité. Ce dernier est alors le seul souverain à avoir renoncé au sacre, officiellement pour des raisons de santé, officieusement pour ne pas froisser une France postrévolutionnaire encore instable, tout juste fragilisée par les Cents Jours napoléoniens et la débâcle de Waterloo. La stratégie de Louis XVIII, imaginant un régime fondé sur une " Charte constitutionnelle " se retrouve paralysée par l'exclusivité du vote aux riches possédants. L'élection est un désastre pour le roi, et les ultraroyalistes, défenseurs du système de l'Ancien Régime, constituent une majorité parlementaire. Hostile à la Charte constitutionnelle de Louis XVIII, Charles X rêvait d'un retour à l'Ancien Régime et, pendant le règne de son frère, sa résidence du pavillon de Marsan devint le centre de l'opposition ultraroyaliste à la politique conciliante de Louis XVIII. À la mort sans postérité de ce dernier en 1824, le comte d'Artois monta sur le trône et, malgré un contexte politique défavorable, renoua avec une tradition antérieure à la Révolution en se faisant sacrer à Reims, rappelant le faste de l'Ancien Régime. Préparé dès 1824, le sacre occasionna des dépenses considérables particulièrement malvenues, de la restauration et la décoration luxueuse des bâtiments, à la commande d'un carrosse somptueux à Charles Percier, auxquels il convient d'ajouter la composition d'une messe et d'un opéra. L'apparat anachronique de la cérémonie retourna irrémédiablement l'opinion contre le roi, dont ce sacre fut la première des outrances fatales à la dynastie des Bourbons.
Notre aquarelle exécutée par le baron Gérard, figure le moment précis où l'archevêque de Reims, Jean-Baptiste de Latil, s'apprête à poser la couronne sur le souverain agenouillé, dans un silence et une tension solennels. Notre artiste, célèbre élève de David, répondant déjà aux commandes napoléoniennes et portraitiste de la famille impériale, ne souffrit pas de la chute de l'Empire et fut même nommé Premier peintre du roi Louis XVIII qui l'anoblit en 1819, lui conférant le titre de baron. Il répondit aux commandes officielles jusqu'à sa mort en 1837 durant le règne de Louis-Philippe.
Notre œuvre, précieuse esquisse préparatoire, fut le premier projet soumis à la couronne par l'artiste. Il constitue un témoignage touchant du dernier sacre que le Royaume de France connut, de par sa sincère composition, et livre un exemple étincelant de l'habileté admirable de Gérard.
Ce premier projet fut néanmoins refusé, comme le fut celui de David par Napoléon en son temps, en partie à cause de la position à genoux de Charles X. C'est en effet le moment où le roi sacré et trônant donne l'accolade au Dauphin le duc d'Angoulême alors que l'archevêque exclame son " Vivat Rex in aeternum ", qui sera finalement retenu et qui est représenté sur le tableau définitif daté de 1827 et aujourd'hui conservé au musée des Beaux-Arts de Chartres (fig. 1).