Commentaire :
" Le ciel donne parfois une preuve de sa généreuse bienveillance en accumulant sur une seule personne l'infinie richesse de ses trésors, l'ensemble des grâces et des dons les plus rares normalement répartis sur une longue durée entre beaucoup d'individus. C'est ce qui fut manifeste dans le cas de Raphaël d'Urbino, aussi exceptionnel et charmant. […] Qui possède autant de dons que Raphaël d'Urbino n'est pas simplement un homme mais si on peut dire un dieu mortel."
C'est ainsi que Giorgio Vasari nous présente le peintre et architecte Raffaello Sanzio di Urbino (1483-1520) dans Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, ouvrage majeur et document historiographique essentiel pour tout ce qui touche à l'art de la Renaissance italienne. Dans son ouvrage, Vasari s'attarde sur le maitre d'Urbino, le considérant comme bien plus qu'un simple peintre, fut-il aussi talentueux : " En somme, il n'a pas vécu pour être peintre, mais pour être prince ". C'est bien sa personnalité qui le place, dans l'esprit de Vasari, au-dessus de ses plus grands contemporains.
Ce portrait inédit de Raphaël est prodigieux par la force calme qu'il suggère. Il nous livre l'image d'un artiste encore jeune, vers 25 ans, lors de ses premières années romaines.
Né en 1483 à Urbino, foyer artistique réputé à l'aube du XVIe siècle, fils d'un peintre estimé dans sa région, Raffaello Sanzio se destina très vite à la même activité que son père et va parfaire sa formation entre Urbino et Pérouse, où il entre dans l'atelier du déjà célèbre Pérugin (1446-1523). Plusieurs dessins sont aujourd'hui considérés comme des autoportraits probables de l'artiste qu'il réalisa durant sa formation. Le premier, conservé au British Museum de Londres, est assurément un dessin de la main du Maître, mais des interrogations subsistent quant à la reconnaissance du visage de l'artiste (fig. 1). Pour le second, dans les collections de l'Ashmolean Museum d'Oxford, l'identité du modèle semble acquise, mais c'est plutôt l'attribution du dessin qui pose problème (fig. 2). Fort de progrès fulgurants, il est déjà considéré comme un maître alors qu'il travaille encore dans l'atelier du Pérugin, lequel apprend auprès de Raphaël, autant qu'il l'instruit.
En 1504, il quitte Pérouse pour rejoindre Florence. Il y restera quatre années, durant lesquelles il fera notamment la rencontre de Michel-Ange et de Léonard, parfaisant sa formation à leurs côtés. C'est à cette époque qu'il réalise son autoportrait conservé aux Offices, daté entre 1504 et 1506 (fig. 3). Il s'agit d'une des images les plus emblématiques du peintre, dont notre portrait se rapproche sensiblement.
Appelé par le pape Jules II, il quitte florence pour Rome en 1508, où il va connaitre les années les plus productives de sa vie. Il sera chargé, d'abord par Jules II, puis par son successeur Léon X, de la décoration des chambres du Palais du Vatican, projet qui l'occupa jusqu'à sa mort en 1520. A la fin de sa vie, vers 1518-1519, il réalise un dernier autoportrait, conservé au Louvre, Autoportrait avec un ami (fig. 4) qui présente plusieurs intérêts. Tout d'abord, ce tableau nous livre la représentation d'un artiste à l'apogée de sa carrière, fort d'une sagesse certaine et d'une pleine maitrise de son art malgré son jeune âge. Mais surtout, il témoigne de l'évolution qui s'opère à Rome dans le sillage de Raphaël, de l'art du portrait vers un genre à la fois plus monumental et plus dynamique. L'identité de l'ami de Raphaël figuré au premier plan de ce double portrait demeure hypothétique. Il fut un moment identifié comme étant son élève Giulio Romano, mais sans grande certitude. Néanmoins, cela vient nous rappeler comment, durant son séjour romain de la fin de sa vie, Raphaël fut entouré de nombreux collaborateurs et élèves chargés de l'assister dans la réalisation de ses très lourdes commandes papales. Outre le brillant et dévoué Giulio Romano, on trouve parmi eux des artistes tels que Gianfrancesco Penni, Polidoro da Caravaggio, Giovanni da Udine, le graveur Marcantonio Raimondi, ou encore Pietro Bonaccorsi, dit Perin del Vaga, qui nous intéresse plus particulièrement.
Notre portrait de Raphaël fut exposé au Musée de l'Orangerie en 1956, pour l'exposition Le cabinet de l'amateur, organisée par la Société des amis du Louvre en souvenir de M. Henraux, qui en fut le président entre 1923 et son décès en 1953. L'œuvre est alors attribuée à Bonaccorsi.
Pietro Bonaccorsi, plus connu sous le nom de Perino del Vaga (c. 1500-1547) commença à travailler avec Raphaël alors à peine âgé de 15 ans, témoignant déjà d'un talent précoce, manifestement au-dessus de la moyenne. Il collabora à la réalisation des fresques du Vatican et put ainsi s'imprégner de l'art de son maitre et grandir au plus près de lui. L'historien d'art italien du XVIIIe siècle Luigi Lanzi estimait que " personne ne fut en état de lutter comme [Perino del Vaga] contre Giulio Romano dans l'Académie que Raphaël dirigeait. " Il est considéré comme l'un des plus grands dessinateurs de l'école florentine et un des meilleurs peintres parmi ceux qui aidèrent le Maître d'Urbino à la fin de sa vie.
Outre les similitudes techniques et plastiques de notre œuvre avec l'art de Raphaël et de son élève, qui poussèrent les organisateurs de l'exposition de 1956 à l'Orangerie à proposer cette attribution, c'est surtout le monogramme 'P B' situé en haut à droite accompagné de la date '1523', qui finit de les convaincre . Selon nous, le monogramme présent à droite du portrait est apocryphe, faisant obstacle à la confirmation de l'attribution précédemment établie. Il nous reste de ce commentaire succinct une analyse iconographique extrêmement pertinente, mais des affirmations malheureusement encore incertaines quant à la date précise et à l'attribution de l'œuvre.
1. On peut lire au catalogue une courte analyse de l'œuvre entièrement fondée sur ce monogramme : " Le modèle de ce portrait exécuté trois ans après la mort de Raphaël se trouve dans le groupe des astrologues à droite de la composition de l'Ecole d'Athènes au Vatican (fig. 5). L'artiste s'est inspiré pour la pose du portrait de Bindo Altoviti exécuté par Raphaël en 1515, aujourd'hui à la pinacothèque de Munich, mais en l'inversant (fig. 6). Perin del Vaga fut à Rome le collaborateur de Raphaël et considéré comme un de ses successeurs au même titre que Jules Romain après sa mort. "