Commentaire :
Sur un chemin boisé, Jésus entre Joseph et Marie, dont il tient la main, les enseigne en indiquant le ciel où se trouve une gloire d'anges planant au-dessus de la colombe de l'Esprit-Saint. Le Christ est adolescent, ce qui peut suggérer le thème du retour d'Égypte, où la Sainte famille s'était réfugiée après le Massacre des Innocents. L'interprétation demeure insolite puisqu'ils sont seuls, sans équipage, en sorte qu'il est possible qu'il s'agisse simplement d'un Christ enseignant ses parents.
Stylistiquement, la peinture se place dans la suite du classicisme inspiré des Bolonais, les Carrache en tête, mais aussi l'Albane. La gloire d'anges restreint le champ d'investigation au cercle de Pierre Mignard : l'angelot se retournant pour nous regarder est une citation d'un de ses motifs connu dès 1646 (Vierge l'Enfant du musée des Beaux-Arts d'Angers, fig. 1) que l'on retrouve, par exemple, à la voûte de la galerie du Petit appartement du roi à Versailles, gravé par Girard Audran, ou dans un Saint Dominique en gloire passé sur le marché de l'art. On peut aussi prononcer les noms de Charles-Alphonse Dufresnoy pour les types physiques, ou de Michel II Corneille, nettement plus jeune mais intimement lié à Mignard, notamment pour celui de l'angelot aux joues rebondies.
Notre artiste partage avec eux le goût d'un coloris nacré, et il semble bien que cela soit dans le cercle de Mignard qu'il faille chercher son identité. Mais aucun des trois noms cités ne conviennent, notamment pour ce drapé très sage, raide, évoquant plus la sculpture sur bois que l'antique. On peut proposer le nom, rare, de Jérôme Sourley.
Originaire de Lyon, l'artiste est mal documenté notamment parce qu'il est resté longtemps dans l'ombre de Pierre Mignard. On le sait à Rome en 1648 (ce qui doit situer sa naissance vers 1620-1625 au plus tard) non loin de Thomas Blanchet; l'année suivante, il s'applique à des relevés de décors antiques ou modernes de la ville (Stockholm, Nationalmuseum). Il est à Lyon - sa ville natale selon certaines sources - en 1655; puis de nouveau auprès de Mignard lorsqu'il se marie en 1660 et fait son testament en 1663. Ce dernier document est particulièrement intéressant, puisqu'il révèle que le maître pensionne Sourley à l'année. Une bonne lecture confirme que le May, parfois considéré comme inventé par Mignard et peint par son collaborateur, revient entièrement à ce dernier : la réduction de sa pension est précisément motivée, entre autres, par le temps qu'il consacre au Domine quo vadis pour Notre-Dame. En 1679, il peint encore deux tableaux pour la cathédrale de Reims : l'archevêque est de la famille de Louvois, protecteur de Mignard. Si certaines sources le font encore vivre en 1690, on ignore quand il meurt.
Son œuvre conservé se limite au May de 1664 (Versailles, église Saint-Louis, fig. 2), et à une composition gravée par Edelynck sous la direction de Poilly (donc dans les années 1660), Saint François-Xavier prêchant aux Indes. Ces deux œuvres témoignent de la connaissance intime de la production italienne de Mignard (Saint Charles Borromée, Caen, musée des Beaux-Arts et La mort de Cléopâtre, National Trust, Angleterre et coll. part., ci-dessus). Elles apportent des arguments pour soutenir l'attribution de notre peinture.
On y retrouve un drapé spécifique, et différent de celui de Mignard : il aime les plages calmes que limitent les plis ronds, pour évoquer une anatomie en mouvement, mais aussi les envolées à volutes qui rapprochent l'ange de notre tableau, le Christ de celui de Versailles et le saint gravé par Edelynck. Il faut aussi remarquer les poses délicatement dansantes, les airs de têtes, les boucles des chevelures et le paysage calme et étagé dans la profondeur. Cette belle peinture, au sujet original, pourrait donc être un maillon important dans la redécouverte de ce collaborateur de Pierre Mignard.
Sylvain Kerspern, Melun, février 2016