Commentaire :
Né, actif et mort à Anvers, n'ayant jamais accompli le voyage en Italie, Jordaens est sans doute le plus anversois du trio qu'il constituait avec Rubens et Van Dyck. Formé chez Adam van Noort dont il épouse la fille en 1616, sa carrière est brillante et rapide et bénéficie du décalage de génération qui existe entre ses deux aînés et lui-même. A la mort de Rubens (1640) et de Van Dyck (1641), il devient l'unique artiste capable d'honorer de grandes commandes grâce à son important atelier au fonctionnement si proche de celui de son aîné Rubens. Notre tableau illustre le mode de production de l'artiste consistant à réaliser, avec la participation de son atelier, plusieurs compositions à partir d'un même sujet.
Issu des Métamorphoses d'Ovide, le récit de Philémon et Baucis célèbre la générosité des plus humbles. Jupiter et Mercure, voyageant, se voient refuser l'hospitalité dans de nombreuses demeures de la campagne phrygienne avant d'être enfin accueillis par Philémon et Baucis. Le couple de vieillards, généreux en dépit de leur pauvreté, leur présente un festin composé d'olives, de fromages et de figues. Ils s'apprêtent même à tuer leur unique oie lorsque les dieux interviennent et dévoilent leur véritable identité. En guise de châtiment, le reste de la région est dévasté par un déluge. En remerciement de leur hospitalité, Philémon et Baucis sont autorisés à devenir les gardiens de leur humble cabane, transformée en temple par les dieux. Jupiter promit aussi de leur accorder ce qu'ils souhaiteraient ; ils exigent de ne pas mourir l'un sans l'autre. Leur désir fut accompli et l'heure de la mort arrivant, Philémon fut changé en chêne et Baucis en tilleul.
Connu par une gravure réalisée par Nicolaas Lauwers vers 1630 et une réplique d'atelier datant de 1645-50 (Helsinki, Sinebrychoffin Taidemuseo, collection Göhle), un original disparu traitant du même sujet fut peint par l'artiste probablement vers 1630. Il s'agit néanmoins d'une composition très différente de la nôtre.
Adoptant un cadrage serré au début de sa carrière, Jordaens composa à nouveau plus de dix ans après une œuvre sur le même thème mais avec la composition plus aérée que nous retrouvons sur notre toile datée de 1643. Une composition similaire à celle de notre tableau et considérée comme ayant été exécutée vers 1645 est actuellement conservée au North Carolina Museum of Art de Raleigh (huile sur toile, 109,50 x 140 cm).
Entre ces deux dates de 1630 et 1643-45 nous semblent pouvoir être placés les deux dessins conservés au Louvre1 (fig.1) et à Besançon2 qui illustrent les recherches de l'artiste pour offrir une nouvelle structure au même sujet qu'il devait particulièrement affectionner.
Dans le dessin du Louvre, Jordaens semble avoir retenu la façon originale de tenir le verre pour Jupiter que nous retrouvons pour Mercure dans notre tableau, ainsi que la représentation de l'oie, cette fois-ci les ailes levées.
1. Paris, musée du Louvre, RF 673, 16,30 x 21,30 cm.
2. Besançon, musée des Beaux-Arts et d'Archéologie, D 55, 13,20 x 16,20 cm.