Commentaire :
Cette vibrante esquisse en grisaille, attribuée un temps à l'entourage de François Boucher, puis à Jean-Baptiste Deshays, peut aujourd'hui être rendue en toute certitude à son auteur, Jean-Bernard Restout, fils et élève de Jean Restout. Elle est préparatoire au tableau qu'il réalisa pour le Grand prix de l'Académie royale de peinture et de sculpture en 1757, 'Le prophète Elie ressuscite le fils de la Sunamite', récemment redécouvert et aujourd'hui conservé dans une collection particulière aux Etats-Unis (fig. 1).
Le sujet imposé par l'Académie pour le Grand prix de 1757 et indiqué dans les Procès-Verbaux est tiré du livre des Rois. Son intitulé témoigne d'une confusion entre deux épisodes distincts : c'est en réalité Elisée et non Elie qui ressuscite le fils de la femme du village de Sunam (2 Rois, IV, 18-37) (1). La Sunamite accueillait le prophète dans sa maison lorsqu'il passait par son village et avait donné miraculeusement naissance à un enfant alors qu'elle était âgée. Celui-ci, étant allé voir son père aux champs, mourut d'une insolation. Sa mère désespérée alla chercher Elisée et le ramena chez elle. " Lorsque Elisée parvint à la maison, l'enfant mort était toujours étendu sur le lit. Elisée entra dans la chambre, ferma la porte derrière lui et se mit à prier le Seigneur. (…) Soudain l'enfant éternua sept fois et ouvrit les yeux. Aussitôt Elisée appela Guéhazi et lui dit : - Va chercher la mère de l'enfant. Guéhazi descendit la chercher ; lorsqu'elle arriva, Elisée lui dit : - Viens reprendre ton fils. Elle s'avança, se jeta aux pieds du prophète et s'inclina jusqu'à terre ".
Jean-Bernard Restout illustre cette scène avec ambition, plaçant le lit de l'enfant et le prophète sous un lourd drapé formant un dais au sein d'un intérieur richement meublé. Le peintre respecte ainsi les écritures qui décrivent la Sunamite comme une femme riche. L'enfant vient de s'éveiller et la mère se prosterne vers le prophète tandis que son époux suspend son geste, la main levée. Quelques variantes peuvent être remarquées entre notre esquisse et le tableau définitif, notamment dans le traitement des figures. Le visage de la Sunamite, caché dans l'esquisse, apparaît dans le tableau. Le prophète est finalement représenté sans cheveux et le père de l'enfant sans la coiffe qu'il portait sur la tête dans l'esquisse.
Cette composition vaudra à Jean-Bernard Restout le deuxième prix en 1757, le premier - celui qui assurait à l'élève une place de pensionnaire au sein de l'Académie de France à Rome - revenant à Louis-Jacques Durameau (2). Restout remportera le premier prix l'année suivante avec 'Abraham conduisant Isaac au sacrifice' (collection particulière) et partira pour le palais Mancini en 1761 (3).
Notre esquisse est importante à plus d'un titre. Elle nous renseigne en effet sur l'apprentissage au sein de l'Académie royale, étant un travail préparatoire pour une étape essentielle dans l'apprentissage d'un jeune artiste à Paris au XVIIIe siècle, et constitue un rare témoignage de l'œuvre peint de Jean-Bernard Restout.
Nous remercions Madame Nicole Willk-Brocard de nous avoir aimablement confirmé l'authenticité de ce tableau par un examen de visu.
1. Cet épisode fait écho à celui d'Elie rendant la vie au fils de la veuve de Sarepta (1 Rois, XVII, 17-24) mais la présence du père à droite de notre composition nous confirme qu'il s'agit bien de l'histoire d'Elisée.
2. Le tableau est aujourd'hui conservé à l'E.N.S.B.A., Inv. P.R.P. 8
3. Voir Nicole Willk-Brocard, " A propos de quelques tableaux d'histoire de Jean-Bernard Restout (1732-1796) ", in 'Mélanges en hommage à Pierre Rosenberg', Paris, 2001, p. 458-466.