Commentaire :
À la suite de son père, qui a signé en 1771 un buste d'Henri IV, et un de Sully en 1772 (1), Jacques Rosset reproduit en 1781 pour la deuxième fois (2) ces deux héros légendaires de l'Histoire de France.
Chacun est revêtu d'une armure et d'une cape enserrant les épaules, ils arborent une fraise caractéristique de la mode de la fin du XVIe siècle ; le roi porte la croix de l'ordre du Saint-Esprit, et Sully la médaille à l'effigie d'Henri IV (3). Ils se regardent souriant, les yeux animés par la lumière pénétrante dans les prunelles creusées, à la manière du Bernin. Les détails vestimentaires et physiques sont rendus avec minutie. Le roi, barbe carrée longue et fleurie, moustache bouclée, semble plus jeune que son ministre, pourtant son cadet de six ans, chauve et à la moustache et la barbe plus courte et fine se terminant en deux boucles pointues à la Moïse. Le visage du roi est très proche du réalisme de son masque funéraire en cire (4), et celui de Sully, du portrait de Frans Pourbus.
Ces représentations sont des répliques des bustes d'Henri IV et Sully par Joseph Rosset, mais nuancées dans la manière sculpturale : les visages sont ici lissés, les rides à peine tracées, et les regards levés vers le ciel idéalisent les personnages dans une expression formelle et compassée que Jacques Rosset a signée six fois de manière proche.
Ces modèles sont une interprétation politique de la vision voltairienne des personnages. L'ordre du Saint-Esprit, arboré par le roi, est la manière de signifier son autorité royale d'origine divine, certes, mais aussi la mise au pas de la noblesse féodale depuis Henri III, fondateur de l'ordre ; l'absence d'écharpe blanche, si courante dans l'iconographie cléricale du XVIIIe siècle, est une manière détournée de montrer l'esprit de tolérance du monarque. La barbe à la Moïse de Sully en fait le prophète du gouvernement idéal ; ceint de la médaille laurée du Roi, il est associé à la gloire royale et il symbolise la collaboration nécessaire des élites éclairées au pouvoir royal. Déjà immortalisés au XVIIe siècle, magnifiés par les grands hommes des Lumières, phares de leur volonté de réformes sur lesquels Voltaire a construit et développé ses idées de tolérance et du bonheur des peuples, Henri IV et Sully sont alors proposés comme modèles à Louis XVI pour soutenir les réformes face à l'obscurantisme réactionnaire des privilégiés.
Jacques Rosset est resté dans la mémoire locale comme un sculpteur d'objets religieux, très habile à sculpter de beaux Christs d'ivoire ou en bois de grandes tailles dans son atelier établi à Saint-Claude en 1771. Les bustes d'Henry IV et Sully montrent un aspect méconnu de son œuvre, son aspect profane. Il participe comme son père et ses frères au mythe des grands hommes. Il répond à la demande des élites locales, imprégnées de l'esprit des Lumières suivant la mode des salons parisiens, fières d'afficher dans leurs demeures les effigies des grands hommes défenseurs des idéaux libéraux, ou supposés les incarner.
Ces deux pièces sculptées finement, rappellent l'art de portraitiste de Jacques Rosset qui tailla dans l'albâtre du Jura et dans l'ivoire, matériaux propres à l'atelier sanclaudien, les effigies des Grands Hommes faisant l'admiration de Voltaire et de ses amis.
Marie-Liesse PIERRE-DULAU
Professeur agrégé de l'Université
Docteur en Histoire de l'Art
Expert en Art
1. Henri IV, vente anonyme ; Pau, Gestas-Carrere, 20 décembre 2008 ; Sully, vente anonyme ; Pau, Gestas-Carrere, 28 mars 2009.
2. A notre connaissance.
3. Henri IV (1589-1610), médaille en or, frappée, gravée par les Danfrie, profil droit, vente anonyme, Paris, Hôtel Drouot, Aguttes, 21 juin 2012
4. Michel Bourdin (1585-1645), Buste funéraire d'Henri IV, vers 1610, cire colorée, Paris, musée Carnavalet