Commentaire :
Cette œuvre portant lisiblement la date de 1919 et montrant une jeune élégante au col de fourrure au milieu d'une avenue boisée envahie par des bourrasques de neige n'est pas à strictement parler un portrait. Si le modèle est Colette Gervex, l'enfant unique de l'artiste, alors âgée de 25 ans, le dessin très particulier du nez de la jeune femme rappelle plutôt le profil élégant de Madame Gervex. Colette est alors un sujet de prédilection pour Henri Gervex. Ses fiançailles puis son mariage en 1919 avec le comte du Plessis d'Argentré expliquent assez que la jeune femme soit si présente à l'esprit de son père. C'est Colette que l'on retrouve dans une toile de cette même année 1919 intitulée " flirt " et la montrant avec son fiancé dans le cadre élégant du polo de Bagatelle. On remarque également qu'elle arbore l'écharpe de zibeline de son grand portrait, présenté au Salon de 1912 (fig. 1, musée des Beaux-Arts de Nancy). Selon les archives de Madame Gervex, Colette se tient alors sur les Champs-Elysées plongés dans la brume et sans doute est-ce aussi l'avenue où Gervex pensait situer sa 'Jeune fille au bouquet de violettes'.
Mais cette œuvre n'est pas seulement une représentation d'élégance dans un cadre d'élégance. Il convient de la replacer dans le contexte historique de 1919, où cohabitent l'euphorie de la victoire et le traumatisme de la guerre. Henri Gervex, décoré de la Croix de Guerre, est encore dans les mémoires un des peintres de la Belle Epoque et il veut s'affirmer comme un des derniers témoins d'un monde alors disparu. Sa production montre alors de nombreuses jolies jeunes femmes protégeant leurs chapeaux des coups de vents ou même suivies par ce qu'on appelait alors " des marcheurs ". Comme dans les scènes de genre de Jean Béraud, il représente ici une séduisante parisienne ayant reçu l'hommage d'un modeste bouquet de violettes (amour timide selon le langage des fleurs) et suivie par l'ombre grise et enveloppée de brouillard d'un soldat. La jeune femme porte une vareuse bleu marine presque militaire, mais le soldat est Russe, comme en témoignent les photographies du fonds d'atelier de Gervex montrant la genèse de cette œuvre. L'origine de ce tableau remonte donc très loin : aux trois voyages successifs de Gervex en Russie (1896,1898 et 1901) pour son célèbre et gigantesque 'Couronnement de Nicolas II'. Et en 1919 la Russie des Tsars semblait aussi bien loin…
Sur un plan artistique, Gervex, qui publiera ses 'Souvenirs' en 1924, s'affirme alors comme héritier d'une tradition esthétique, mais aussi d'une manifeste sensualité impressionniste comme en témoigne la rapidité de touche de la fourrure, du paysage dans le brouillard et de la neige tourbillonnante. Le soldat Russe est presque effacé sur le tableau : une simple ombre dans la brume, à peine visible. Le bouquet de violettes que porte le modèle, (peut-être une citation et un lointain souvenir de Manet) contraste par sa masse rose et lumineuse traitée en pleine pâte avec les tonalités de gris du paysage de neige, apportant ainsi une note printanière et colorée à cette triste atmosphère d'hiver. Comme le sourire rouge et éclatant de la jeune femme, ce bouquet symbolise le renouveau attendu de la France en 1919.L'espoir de renouveau d'une certaine joie de vivre de la Belle Epoque dont Gervex restait alors l'un des principaux et meilleurs représentants. Et sans aucun doute, l'un des plus séduisants.
Jean-Christophe Pralong-Gourvennec, octobre 2013
Cette œuvre figurera dans le catalogue raisonné de Gervex actuellement en préparation par Jean-Christophe Pralong-Gourvennec sous le titre : 'Jeune femme au bouquet de violettes sous la neige (Colette Gervex)'.
Un certificat d'authenticité sera remis à l'acquéreur.