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Guy DEBORD
Correspondance inédite à Sean Wilder 1965-1967
Estimation :
15 000 € - 20 000 €
Vendu :
40 209 €

Description complète

Correspondance inédite à Sean Wilder 1965-1967

Les fondements de La misère en milieu étudiant

19 l.a.s. de Guy Debord, dont 7 cartes-lettres et 1 carte postale, d'un total de 30 p. in-8 ou in-12, certaines à en-tête de l'Internationale Situationniste, du 12 nov. 1965 au 8 oct. 1967. Signés Guy Debord ou Guy. Enveloppes conservées. 17 des lettres sont inédites ; celles du 12 novembre est reproduite p. 81 dans la Correspondance (vol. III., p. 81), mais avec des inexactitudes, et celle du 29 mars 1966 n'est éditée que de manière très lacunaire (idem, p.135).
Correspondance historique de Guy Debord avec l'étudiant américain Sean Wilder concernant la traduction en anglais du texte de Debord Le déclin et la chute de l'économie spectaculaire-marchande, sur les émeutes de Watts (13-16 août 1965). Mais cette correspondance est aussi d'une importance capitale pour comprendre la mise en place et la genèse de La misère en milieu étudiant. Cette brochure Le déclin et la chute sortie fin décembre 1965, était conçue comme un supplément au numéro 10 de la revue Internationale Situationniste ; elle était par ailleurs complétée par un appendice d'une page, la note de présentation de l'I.S., version anglaise d'un texte collectif dont la rédaction en français avait été particulièrement ardue (entre Debord, Vaneigem et Khayati, du 22 octobre au 6 décembre) ; cette note était destinée à être placée en appendice d'un autre supplément au numéro 10, " Les luttes de classes en Algérie ", paru le 21 décembre 1965.
Un autre protagoniste des événements, André Bertrand, nous renseigne sur la rencontre de Wilder et Debord : " J'étais en 1965/66 à Toulouse. J'y fréquentais entre autres Sean Wilder, un étudiant américain rencontré l'année précédente à Strasbourg. J'avais écrit à Debord dès 1965. Sean qui était abonné à I.S., avait été sollicité pour traduire en américain le texte sur les révoltes de Los Angeles [Cf. Correspondance, III, lettre du 12 nov. 65]. En juin 66, Sean et moi rencontrons Debord à Paris ; dans une lettre écrite fin mai, j'avais fait part à celui-ci de la prise de pouvoir de la section strasbourgeoise de l'UNEF par certains camarades - avec lesquels j'étais toujours en étroit contact. C'est lors de cette entrevue dans un café de la Place de la Contrescarpe, que se scelle, par mon intermédiaire, l'accord très informel entre le bureau de l'AFGES et l'I.S. ; et que se mettent en place les prémisses du scandale de Strasbourg ; Debord avait, à ce moment-là, déjà pensé au titre télescopique de De la misère... et suggéré les grandes lignes du contenu de celle-ci. "
Dès l'automne 1965, Guy Debord cherche un traducteur qui puisse se charger de la version anglaise du texte, ce sera donc Sean Wilder, jeune étudiant américain.
La première lettre date du 12 novembre 1965 : " Nous allons publier prochainement un numéro 10. Il y aura un article sur la révolte à Los Angeles. Nous pensons le traduire en anglais, pour en faire un tirage à part. Pourriez-vous faire cette traduction ? Il s'agit de onze pages dactylographiées, d'un texte assez difficile, je le crains. "
Le 6 déc. 1965, il donne des renseignements importants sur le fonctionnement de la revue et les difficultés financières : " Notre situation financière, naturellement, n'est jamais très bonne. Mais ce problème ne se pose heureusement pas à ce degré : cette revue [l'I.S.] ne peut aucunement être "rentable " ou, couvrir ses frais, dans les conditions où nous sommes. Mais nous en avons une assez grande quantité pour pouvoir en donner à ceux qui sont en état de la comprendre. C'est même là le premier objectif que nous avons poursuivi en faisant cette publication. " Debord veut implanter son mouvement aux U.S.A. et Sean Wilder pourrait être l'intermédiaire sur place : " J'espère que la perspective que vous évoquez, pour une extension de nos contacts aux U.S.A., se réalisera. IL semble que l'atmosphère actuelle n'est pas trop défavorable pour un premier stade (la communication d'éléments pour ouvrir la discussion). On m'a communiqué quelques adresses des responsables de la Free University de New York. Mais je ne sais pas bien sur quelle base se développe leur expérience, qui paraît sympathique. "
Le 8 décembre 1965, il propose à Sean Wilder deux traductions ; en lui laissant le choix le plus pertinent : " si vous avez le temps et le courage, on serait très heureux d'avoir une traduction anglaise : soit de Perspectives de modifications conscientes dans la vie quotidienne (dans l'I.S. n° 6) soit de Domination de la nature, idéologies et classe (dans l'I.S. n° 8). Entre ces deux textes vous pouvez choisir celui qui vous paraîtrait à la fois le plus aisément traduisible et le plus intéressant pour la discussion culturelle présente aux U.S.A. et en Grande-Bretagne ".
Le 23 décembre 1965, il le remercie pour le texte corrigé et lui donne plusieurs renseignements sur des contacts anglais. Il demande des précisions sur le " Progressive Labour Party " qui serait considéré comme pro-chinois.
Dans la lettre du 2 janvier 66, Debord est plus engagé dans une pratique intellectuelle que dans un militantisme actif, il n'oublie pas non plus que le Situationnisme n'est qu'un " ISME" de plus : " Je suis bien d'accord avec votre jugement des activistes aux vues limitées. Bien sûr, nous ne devons pas essayer de les convaincre de "militer" pour un "isme" plus nouveau. Notre " succès " dans ces cas serait aussi un échec. Il faut plutôt essayer de faire parvenir directement, sans commentaire, des documents à ceux qui pourraient les comprendre, les communiquer ; et ensuite peut-être discuter avec celui qui a compris l'intérêt d'une telle discussion (intérêt également pratique, pour dépasser la confusion actuelle en se renforçant). "
Concernant le texte Decline and fall, il se pose des questions sur la traduction faites par Donald Nicholson-Smith, mais aussi sur sa portée théorique : " Le texte lui-même vous paraît-il : 1° juste - 2° relativement transmissible ? La plus grande partie du texte est "événementielle et polémique", mais les 2 dernières pages sont d'une certaine difficulté - et important aussi, j'espère - théoriques/ Amicalement. "
FLAUBERT TERRORISTE DE L'ECRITURE. Le 12 janvier 66, Debord commente et revient sur la traduction de The Decline and the Fall par Nicholson-Smith, d'origine anglaise : " Dans les problèmes généraux de traduction, le principal point débattu était la traduction du mot "dépassement", c.à.d. de l'allemand "Aufhebung". D'après notre camarade anglais, rien d'autre n'existe que "transcendance" - utilisé pour les traductions anglaises de Hegel -, malgré l'origine idéaliste du terme; qui serait pourtant moins mystique de résonnance en anglais qu'en français. Evidement, il ignorait la distinction américaine péjorative entre "négro" et "black" (on aurait dû pourtant la soupçonner !) qui sont équivalents en anglais. "
" Le camarade anglais, en général, avait une tendance à varier les mots, souvent identiques dans mon texte, sans doute pour le rendre plus littérairement élégant (suivant cette tendance que notre Flaubert a imposé d'une façon terroriste à l'écriture française : ne pas ramener le même mot à peu de distance). Ceci s'oppose quelque peu à la lourdeur (d'origine philosophique) de mon vocabulaire dans ce texte. " La diffusion de la plaquette est assez satisfaisante : " Le seul défaut c'est qu'elle n'a presque pas touché de Noirs américains. Et c'est à eux surtout que nous voudrions faire lire ce texte. Avez-vous une idée à ce propos ? "
Pourtant, Debord en vient à se radicaliser. Le 15 janvier 1966, il veut introduire le Situationnisme dans la société noire : " Merci de vos efforts, pour trouver des Noirs radicaux. […] Est-ce que Le Roi Jones ne serait pas plus violent ? On pourrait "sauver" beaucoup d'intellectuels noirs qui ont ces sympathies pour l'extrémisme en développant des possibilités qui sont encore plus violentes que celles qui agitent - utopiquement - les B.M. [Black Muslims] : ils veulent se séparer seulement de la société blanche, et nous disons qu'il faut l'anéantir telle qu'elle est, en poussant au bout sa propre scission. "
Reprenant ses arguments sur les intellectuels noirs américains dans une lettre du 23 janvier 66, il pense que les " informations " situationnistes " pourraient être très utiles ", puis trace un parallèle historique avec la politique de la vieille Europe et le comportement de ses intellectuels et artistes. Nous sommes en janvier 1966, en novembre 1967 sera publié sa Société du Spectacle. Il est remarquable de voir que dans cette correspondance avec Sean Wilder, le vocabulaire, les idées, le ton employé, la force subversive, les visions prophétiques sont celles de son œuvre centrale et de ce que deviendra mai 68 : " Un intellectuel, et surtout un littérateur, a plus tendance qu'un militant ouvrier à soutenir une position d'apparence radicale, pour son esthétisme ou son allure de défi apocalyptique. Surtout du fait qu'il n'en pèse aucune conséquence, mais en fera principalement la matière de son art (et le spectacle moderne peut bien accueillir toutes les variations sur un thème apocalyptique à la mode). En France ou en Italie, le stalinisme a ainsi influencé très profondément la quasi-totalité des intellectuels qui ne se voulaient pas franchement bourgeois. Ce n'était certes pas pour des motifs directement politiques. […] C'était une mode et un style. Ce n'est pas encore fini ! "
Le 31 juillet 1966, 15 jours après la Conférence de l'I.S. qui a rempli ses objectifs, Debord décrit les différents cas problématiques dont : " Le rapport de Raoul [Vaneigem] sur la révolution et la culture, a été aussi critiqué et repoussé, quoiqu' à un tout autre niveau. On considère que Raoul a bien décrit là le moment présent de la culture spectaculaire, mais sans considérer l'histoire de la culture (son contenu révolutionnaire passé). Du même coup, la culture présente est envisagée unilatéralement (la récupération n'est pas comprise dans sa lutte avec la contestation, mais comme une victoire absolue). La conférence a conclu que nous devions maintenir, et étendre, une présence révolutionnaire dans la culture - et, par exemple, un livre de théorie révolutionnaire participe immédiatement à cette réalité - présence qui, évidement, vise à la dissolution de la culture comme sphère séparée, et s'oppose concrètement à tous les modes de la culture existante. On reconnaît que laisser entièrement "la culture" comme une unité métaphysique maudite à l'ennemi, nous limiterait à écrire des slogans sur les murs ".
Dans la lettre du 29 mars 1966, il encourage Wilder à s'opposer aux " trotskistes parisiens " qui attaquent l'I.S. : " en outre, Trotsky avait le pouvoir de supprimer le démenti ; et ces gens-là devraient savoir qu'ils ne l'ont pas ? La politique bureaucratique héroïque s'est transformée en pur rêve, parce que dans le monde actuel, ce sont des bureaucraties plus sérieuses qui ont accès aux rôles politiques. Je me demande de quel trotskiste il s'agit. On ne connaît pas de gens comme eux. J'ai vu il y a longtemps, un qui était dans la gauche du groupe "Socialisme et Barbarie", et qui, en entrant dans le groupe appelé "Voix Ouvrière", a complètement changé d'avis sur tout. C'est un véritable dément politique. "
Le 17 octobre 1966, Sean Wilder est de nouveau aux U.S.A. Debord lui communique l'adresse des " Black Mask " et annonce le coup de Strasbourg : " Dans un tract très bref, trois signataires annoncent qu'il faut commencer une lutte totale, aussi bien culturelle que politique, et comme premier exemple, ils annoncent leur décision de fermer le Musée d'Art Moderne ! Comme tu dois le savoir, nous préparons un coup très fort à Strasbourg, qui doit éclater dans 15 jours environs. Tu recevras les documents. " Joint :
- René VIENNET : 1 L.T.S. à Sean Wilder : " Peux tu m'envoyer tout ce qui se trouve, non seulement comme romans-photos ou comics-strips subversifs, mais encore les illustrés que l'on ne trouve pas à Paris, sur la guerre du Vietnam, avec des noirs comme héros, etc. Je recherche également pour en tirer des illustrations des catalogues d'armes (revolvers, mitrailleuses, canons) ".
- Nicholson SMITH : 2 L.A.S. Sur la traduction du texte " Le déclin et la chute "
- Michèle BERNSTEIN : 1 L.T.S.

Exceptionnel ensemble, d'une grande importance pour la compréhension du mouvement et de sa diffusion aux États-Unis.

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