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Antoine de SAINT-EXUPERY
Lettre à Denis de Rougemont sur l'origine du nazisme
Estimation :
12 000 € - 15 000 €
Vendu:
22 523 €

Détails du lot

Lettre à Denis de Rougemont sur l'origine du nazisme

5 ff. in-4, papier pelure blanc, au filigrane " Onion Skin. Made in U.S.A. ". S.d. (1941-1942). Long brouillon de lettre, ratures, ajouts.
Saint-Exupéry s'adresse à Denis de Rougemont, qu'il a rencontré durant son exil à New York (1941-43). Il revient sur une discussion houleuse qu'il a eue avec lui sur l'origine du nazisme, thème que l'écrivain et philosophe suisse connaissait pleinement puisqu'il a publié en 1938 son Journal d'Allemagne dans lequel il analyse l'origine du national-socialisme.
Visiblement, l'échange est orageux : " Je réponds parce que je vous estime et je ne me vexe pas de votre lettre parce que je ne me vexe jamais de rien. Si quelque personne m'est désagréable, je lui tourne le dos avec simplicité. La terre est grande. Comme la vôtre ne m'est pas désagréable je n'ai pas envie de vous tourner le dos. Mais je ne comprends pas à quelle opération elle répond. S'il s'agit de couper entre nous toute relation, il est plus simple de ne plus me voir. Il y a des tas de gens que je ne vois pas tout simplement. Et, à moins qu'ils ne viennent eux-mêmes me les demander, je ne leur donne jamais mes raisons.... "
Avant de commencer sa plaidoirie, Saint-Exupéry rappelle l'estime qu'il porte au philosophe : " D'abord que je vous aime bien et regrette fort de vous avoir été désagréable. Je n'aime pas peiner qui j'aime bien […]. Je me sais dans un état de vive irritabilité due à des ennuis matériels proprement insurmontables, qui m'ont fait me coucher après dix jours sans sommeil, contre un travail idiot. Je ne supporte pas le manque de sommeil. Je suis naturellement agressif à la discussion, ayant mauvais caractère, mais je suis tout à fait d'accord sur le fait que j'ai été trop loin dans mes élans… Ca c'est pour la forme. "
Puis il en vient au sujet de leur discorde : " En ce qui concerne le fond la seule phrase qui ait pu vous blesser est la suivante : "vous allez nous raconter votre voyage en Allemagne". J'ai regretté vivement la forme qui était en effet hargneuse. Je n'ai regretté en rien le fond. Quand j'ai en effet parlé du nazisme et de l'étonnement ahuri d'une jeunesse forcée à sacrifier sa vie pour un combat si peu satisfaisant, j'ai dit quelque chose qui signifiait : "il est trop facile de donner les causes du succès dans le simple attrait du mal. On meurt par générosité". Or la jeunesse crevait étouffée dans la poussière des valeurs de 1929. Toute mon expérience de la vie et des hommes me l'a enseigné. Je connais la Russie, l'Italie, l'Espagne et l'Allemagne. J'ai discuté des nuits entières avec les communistes, les anarchistes catalans, les fascistes et les nazis (?). Tout ce qui était jeune, sain et pur ou rangé s'était rallié à des mouvements extrêmes pour des raisons affectives et spirituelles rigoureusement identiques ". Il explique alors qu'il aurait pu intervertir les déclarations de Garcia Marquez, de Thomas, de Sieburg et de Tartempion : " La part de critique d'un monde méprisable était identique. Et les jeunes qui ne connaissent que leur appétit spirituel étouffé par la crise (?) de 1929, leur besoin d'air pur, se rangeaient sous l'un ou l'autre de ces drapeaux selon la qualité des agents de recrutement et le hasard de leurs rencontres… "
Mais l'auteur n'apprécie pas ces explications : " Là-dessus cher ami vous m'avez répondu qq chose qui signifiait exactement : "Taisez-vous. Le nazisme ça me regarde. Vous n'y connaissez absolument rien. Lorsque j'étais en Allemagne…". " Chaque fois qu'il abordait l'origine du nazisme, Rougemont lui coupait la parole en lui disant : " C'est moi le spécialiste. J'ai vécu en Allemagne". Vous ne l'avez jamais fait méchamment. Je ne vous en ai jamais voulu mais ça ç'a toujours été ainsi. Cette fois-là, une fois de plus, ça m'a agacé. " Ce passage présente une autre version : " Vous me disiez (sans vous en rendre compte) : "-Taisez-vous là-dessus vous n'y connaissez rien, non voyons…" Ca m'était impossible, sans ridicule, de vous répondre en vous citant des références ! "j'ai passé des mois avec tel et tels Tartempions... monsieur !... taisez-vous à votre tour". Renonçant à exprimer les miennes, j'ai envoyé promener vos "références", j'ai dit "au diable cette […] !". Malheureusement c'était peu naïf dans la forme, mais j'étais agacé par l'argument ad hominem et mes nuits blanches m'avaient fait irritable. "

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