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Antoine de SAINT-EXUPERY
Lettre sur sa rupture avec Nelly de Vogüé
Estimation :
12 000 € - 15 000 €
Vendu :
28 315 €

Description complète

Lettre sur sa rupture avec Nelly de Vogüé

"dans les circonstances graves, je donnerais priorité à ma femme, pour la seule raison qu'elle était ma femme"

A une intime. 3 f. in-4, papier vélin ivoire "Macadam Bond". Vers 1943 (?). Encre bleue. 17 ratures. Conclusion manquante.
L'amour protecteur, presque paternel, de Saint-Exupéry pour sa femme Consuelo et sa liaison tumultueuse avec Nelly de Vogüé, rencontrée chez Louise de Vilmorin en 1929, sont bien connus des lecteurs d'Antoine de Saint-Exupéry. Les manuscrits témoignant de son amour irremplaçable pour Consuelo et des raisons de son détachement sentimental de Nelly sont rares. Cette lettre très intime éclaire avec justice un Antoine de Saint-Exupéry sensible, vibrant, voulant rester proche de son épouse, épuisé par le tempérament orageux de Nelly. L'amour et la guerre : les deux thématiques fondamentales de Saint-Exupéry sont abordées dans ce manuscrit. Ses explications subissent l'influence de l'état désastreux de la France humiliée, blessée, vaincue… comme sa relation avec Nelly. Elle voulait de Saint-Exupéry plus qu'il ne pouvait lui donner et, comme plus rien ne le retenait à Nelly, il est revenu définitivement à son épouse.
"…contribué à rendre plus rigide le dilemme qui nous déchire. J'estime que vous aviez raison. Vous ne pouvez pas comprendre que j'ai raison aussi et je ne prétends point transporter des problèmes humains, dans leur densité, sur quelques pages de papier à lettre. Il serait de mauvais goût. […]Voilà trois ans qu'il est résolu. Nelly peut vous montrer dans la persécution de quiconque souffre quelques témoignages de doutes d'hésitations dues à des lassitudes, des désespoirs, ou des dégoûts, il reste qu'ils ne pèsent rien auprès des témoignages contraires, des positions cent fois réaffirmées, écrites, démontrées, exposées. Informez-vous auprès de ma mère ou auprès d'Yvonne [de Lestrange] Mises à part quelques défaillances exclusivement dues à une lâcheté devant l'angoisse que me cause la souffrance d'autrui […] je n'ai jamais varié. Et je ne varierai jamais. […] Voilà trois ans que j'ai reçu vers deux heures du matin une visite de N. qui venait me faire définitivement ses adieux, rompant avec moi pour toujours, parce qu'elle avait reçu de moi un pneumatique où, pour éviter les malentendus éternellement renaissants, je lui disais que, dans des circonstances graves, je donnerais priorité à ma femme, pour la seule raison qu'elle était ma femme - et cela quels que fussent ses torts. […] Je ne me suis pas préoccupé de connaître, pour demander à faire la guerre là où je pensais elle était la plus dangereuse, si un pays avait tort ou raison […] Je précise que lorsque ma femme a des torts ses torts sont d'abord les miens. Je n'avais qu'à la mieux former. Et c'est pourquoi j'accepte parfaitement que vous me reprochiez teniez rigueur à cause de ma femme. [ …] Dans ce pays où tous les français se désolidarisent de leur pays parce que leur pays, ses actes, ses discours, les humilient, je n'apprendrai point, par dégoût d'eux, à changer. La défaite est de chacun. La défaite est humiliante. Je n'y puis rien. Je suis d'un pays vaincu et je ne cracherai pas sur lui pour me décharger à peu de frais de ma part d'humiliation. Il est tout à fait naturel, acceptable et sain que l'on m'injurie de ne point cracher. J'estime naturel que vous m'adressiez quelques reproches que ce soit à cause de ma femme."
"Mais dans le même temps je ne l'abandonnerai pas et […] je ne pourrais pas la laisser, je n'ai jamais varié et, depuis trois ans j'ai vu peu à peu s'approcher l'heure où des menaces de séparation se changeraient en mise en demeure véritable. Nelly sait depuis toujours mon attitude pour ce jour-là. Cette attitude n'a point de lien avec ne tire point son origine de la variation de l'aurore. Elle était la même dès la première heure. […]. De quel droit supplierais-je ? Et comme l'on me quitte. Une telle décision sur un monument de reproches le climat n'est pas aux phrases tenues. A quoi sert d'habiller de gloire la cruauté s'il est vrai que je suis cruel. Enfin je ne vous cacherai pas que l'atmosphère de drame permanent, de reproches permanents, de culpabilité permanente dans lequel on me contraint de vivre depuis trois ans m'ont lassé sur l'amour. […] Chaque fois que je suis tendre me montre tendre ce sont des gages que je donne j'accuse. Des reproches, si ce n'est pire, que je prépare j'autorise pour le lendemain. Je ne vois pas ce qui justifie que le don de ma tendresse, ou de ma présence, ou quoi que ce soit de ma vie, se transforme avec un automatisme aussi permanent en culpabilité. Plus je suis tendre plus me voilà perdu. Je ne comprends certes rien à l'amour. […] Ce n'est pas moi qui quitte Nelly, mais elle qui me quitte. Vous me reprochez de laisser faire. Comme dans le même temps vous la confirmez dans ses dilemmes votre lettre ne prend ainsi que le sens d'une confirmation de mise en demeure. Je n'ai rien à répondre n'ayant jamais varié."
Joint :
- BROUILLON DE L.A. [à Nelly de Vogüé ?]. S.d. 1 f. in-4. Papier pelure jaune bouton d'or. Encre noire.
Brouillon de lettre, écrit d'un seul jet, une seule rature. Il passe de l'amour à l'universel, de l'amour à la domination, du jeu à l'injure. Il analyse avec limpidité sa relation avec elle : elle ordonne, dirige, exige… Leur histoire est guerrière, trouble, accidentée, …
"Les rapports ne sont jamais des rapports que tu découvres mais que tu fondes. Et de cette découverte tu ne peux rien déduire car ce n'est point une découverte mais une création. CE que tu peux faire c'est les enrichir - et ainsi ordonner le monde.[…] Tu exiges, pour être heureuse que je sois bien moins grand que moi-même. Car selon toi, en agissant ainsi […] et en écartant nos litiges, j'en couvrirai [plus] d'un feuillage plus lourd. Mais l'étape est une fausse image et c'est présentement que je dois couvrir le plus possible, sous la forme où ça se propose, car c'est cela qui est couvrir […] Et moi je puis te répondre. Ce n'est pas ça l'amour. [… ] Ce que je n'admets point c'est ce ton. Et ce "tu bafoues" car je n'ai d'abord et surtout jamais rien bafoué. Je vais chercher mon mal là où il est. Mais ce n'est une injure que dans la mesure où ce jeu de l'injure tu l'imposes en le jouant. Je n'admets pas que mes besoins puissent t'être une injure. "

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