"Si la machine bouleverse un monde qui ne sait pas s'y ajuster, il est évidemment une solution, laquelle consiste à anéantir la machine"
Vers 1943. 7 ff. autographes, papier pelure américain au filigrane "Fidelity Onion Skin". Encre sépia. Brouillon de premier jet, partant en diagonale dans la page. Nombreuses ratures, corrections.
Saint-Exupéry apporte ici une critique constructive d'un ouvrage traitant de l'économie dans ses rapports à la création de l'univers ou à la géopolitique. Sa réponse circonstanciée est développée en treize points. Voulant amener son correspondant à une vision plus égalitaire sur l'économie et ses ressources mondiales Saint-Exupéry illustre son analyse en donnant l'exemple d'un livre fictif qu'il intitule Le Scaphandrier et l'Etoile. "Les étoiles sont considérées non pour leur part du monde stellaire, mais pour la part qui fait du ciel un jardin fleuri. […] Je construis aussitôt en moi l'image d'un vase au cœur duquel je situe l'étoile comme une fleur dont la tige m'est invisible. […] Toute image est un point de vue. Celui auquel je suis contraint (sans même m'en apercevoir) de me situer pour assurer l'identification proposée."
Vient ensuite la critique du livre en question :
"Si la machine bouleverse un monde qui ne sait pas s'y ajuster, il est évidemment une solution, laquelle consiste à anéantir la machine. Mais est-ce normal? […] Le besoin est ce qui me rend permanent. Si je suis baron de Charlemagne, j'ai besoin d'un château fort et d'une armure. Si je suis moderne j'ai besoin de magie et de poésie bien qu'étant de la même structure biologique que l'homme des cavernes si proche de moi, lequel n'en avait pas besoin. Les seuls besoins sont le besoin de la permanence par le besoin mystérieux de l'ascension. L'homme des cavernes tend à avoir besoin de Jean Sébastien Bach. Rien ne me permet de chiffrer et de codifier le besoin de l'accroissement de nos besoins c'est-à-dire la tendance à l'enrichissement de ma personnalité (exemple soif, oxygène). Je réponds toujours exagérément aux besoins de l'homme quand je l'élève. Je comprends bien l'adaptation naturelle comme une conquête. […] Mutations nouvelles... Il s'agit là de l'antagonisme à la création. Second pôle essentiel. L'homme est défini par l'antinomie besoin de créer - besoin d'être stable (permanence ou instinct d'identité) si l'usine électrique est fermée par l'usine à gaz c'est parce que les perturbations trop rapides ruinent une société. Elle ne peut, en effet, s'adapter trop vite sans hémorragies désastreuses de ? (ruine du petit peuple porteur d'actions de gaz) l'état d'équilibre vivant entre ces deux antinomies est naturel. Il n'est pas définissable par une opération logique. La communauté aidera progressivement pour la bonne raison que la création, désormais, est fruit de la communauté. […]. L'économie du déséquilibre par l'essence même de la transformation industrielle (a/ passage de géométrique à vitesse stable b/ passage de création industrielle à création à la chaîne (usine électrique du Nord)). […] L'univers évolue c'est un fait. L'ordre naturel précis […] n'est jamais prévisible. Je remonte toujours des effets aux causes. Je ne descends jamais des causes vers les effets. Je refuse ce schéma théorique […]. Parce que je ne sais où le trouver. Je le dénomme précision juste."