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GONCOURT, Edmond de
Scène de bal
Estimation :
1 500 € - 2 000 €
Vendu:
1 913 €

Détails du lot

Scène de bal

Dessin original. Encre et plume, 12, 5 x 15 cm, encadrement sous verre.

Composition vive et enlevée représentant deux danseurs en costumes Directoire. Sans doute s'agit-il de deux de ces " incroyables et merveilleuses " auxquels les frères Goncourt consacrèrent une pièce aujourd'hui perdue, ou une évocation plus générale de la frénésie de plaisirs qui s'empara de la France après la chute de Robespierre, comme ils le décrivent dans leur monumentale Histoire de la société française pendant le Directoire (1855) :
" La France danse. Elle danse depuis thermidor ; elle danse comme elle chantait autrefois : elle danse pour se venger, elle danse pour oublier ! Entre son passé sanglant, son avenir sombre, elle danse ! À peine sauvée de la guillotine, elle danse pour n'y plus croire ; et le jarret tendu, l'oreille à la mesure, la main sur l'épaule la première venue, la France, encore sanglante et toute ruinée, tourne, et pirouette, et se trémousse en une farandole immense et folle [...].
Tout ce peuple se rue au bal. Il vit l'heure qui est, dépouillant le souvenir, abdiquant l'espoir ; il s'enivre de bruit, de lumières, de gaze remuée, de chaudes odeurs, de seins montrés, de jambes devinées, de regards , de formes, de sonorités, de la volupté des sens [...]. On danse en fins souliers ; on danse en gros sabots ; on danse aux nasillements de la musette ; on danse aux suaves accents des flûtes; on danse en scandant la bourrée; on danse en sautant l'anglaise ! Et le riche et le pauvre, et l'artisan et le patron, et la bonne compagnie et la mauvaise, tous se démènent du meilleur de leurs jambes dans cette bacchanale épidémique qui court six cent quarante-quatre bals ! [...]
Mais où la meilleure compagnie danse, où madame Hamelin vient le plus souvent apporter ses grâces créoles, c'est à l'hôtel Longueville [...]. Là, dans ces salons majestueux comme une galerie du Louvre, roulent trente cercles de contredanse à seize [...]. Trois cents femmes parfumées et flottantes, dans leurs déshabillés en Vénus, laissant voir tout ce qu'elles ne font pas voir, impudiques, "jambe fine, pied fripon, corsage élégant, main errante, gorge d'Armide, forme de Callipyge", au bras de vigoureux danseurs, tournent et tournent encore , nouées à leurs Adonis, qui tendent une cuisse infatigable, dessinée par le nankin souple.
Sous les corniches d'or, mille glaces répètent les sourires et les enlacements, les vêtements balayés et moulant le corps, et les poitrines de marbre, et les bouches qui, dans l'ivresse et le tourbillon, s'ouvrent et fleurissent comme des roses ! "

" L'Art aura rempli notre vie " (Jules et Edmond de Goncourt). Les frères Edmond (1822-1896) et Jules (1830 1870) de Goncourt se consacrèrent d'abord à la peinture et à la gravure, collectionnèrent à partir de 1838, et se lancèrent dans l'histoire de l'art en 1859 : ils écrivirent notamment sur le XVIIIe siècle, qu'ils contribuèrent à faire redécouvrir, sur leur ami Gavarni, et publièrent des critiques dans divers périodiques. Devenus écrivains à part entière, ils conservèrent la nostalgie de leur pratique des beaux arts, allant jusqu'à affirmer le 1er mai 1869 dans leur Journal :
" Quel heureux métier, le métier de peintre comparé au métier d'homme de lettres... Chez l'un le travail qui est une jouissance et chez l'autre une peine ".
Le parti pris littéraire naturaliste des Goncourt s'accompagna d'un style " artiste " d'origine picturale, construit par touches " impressionnistes ", par successions d'épithètes susceptibles " d'éveiller la sensation avant même de spécifier l'objet " (Roger Marx). Critiqué par Sainte-Beuve et par Baudelaire, ce style fit l'admiration de Huysmans qui y retrouvait la manière de Degas. La maison d'Auteuil des Goncourt devint un véritable monument à leur passion artistique, se remplit d'innombrables tableaux, estampes, sculptures, et Edmond consacra en 1881 un ouvrage entier à la décrire, La Maison d'un artiste.
Si les frères Goncourt publièrent leurs romans sous une double signature, ils assumèrent en revanche séparément leurs œuvres graphiques respectives.

Provenance
Collection Guillaume Apollinaire.

Exposition
- L'UN POUR L'AUTRE, LES ECRIVAINS DESSINENT. Caen, IMEC, Lisbonne, Musée Berardo, Ixelles, Musée communal, janvier 2008-janvier 2009. Reproduction dans la notice n° 5 du catalogue.

Bibliographie
- DESSINS D'ECRIVAINS. Paris, Éditions du Chêne, 2003. Reproduction p. 35.

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