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ANTOINE DE SAINT-EXUPERY
MANUSCRIT DES DERNIERS CHAPITRES DE PILOTE DE GUERRE
Estimation :
65 000 € - 70 000 €
Vendu:
74 890 €

Détails du lot

MANUSCRIT DES DERNIERS CHAPITRES DE PILOTE DE GUERRE

- LE LIEN AVEC CITADELLE -
Vers 1939-1940. 15 feuillets autographes in-4foliotées par l'auteur de 1 à 15 (petits chiffres au centre de la page, entourés d'un cercle). Papier pelure blanc, au filigrane "Onion Skin. Made in U.S.A.", d'une présentation donc semblable au manuscrit conservé à la Bibliothèque Nationale qui servit à l'édition en Pléiade. Outre ce manuscrit de la B.N., on connaît de Pilote de guerre quelques dactylographies, mais le présent manuscrit est le seul autre état manuscrit répertorié. Trous de perforations pour classeur.
Ecrit dans l'urgence et l'angoisse, quand il le pouvait, ce texte est d'une écriture difficile. Saint-Exupéry "gardait toujours avec lui en tous lieux un paquet mal ficelé enveloppé de papier gris" (J. de Dampierre) : son écriture se fait sur l'instant. On sait comment travaillait Saint-Exupéry : il écrivait, réécrivait sans cesse les mêmes passages, jusqu'à arriver à la version définitive. "Certains développements sont [de nombreuses] fois repris - et souvent à de nombreux folios d'intervalle", écrit P. Bounin à propos du manuscrit de la B.N. : tant de pages écrites pour une phrase retenue ! Le présent manuscrit présente évidemment des variantes importantes avec celui connu.
Ces pages présentent, avec des variantes, des passages significatifs de la fin de Pilote de guerre et d'autres qui prendront place dans Citadelle : Saint-Exupéry rédige l'un et l'autre à la même époque, et il est significatif que ce brouillon comporte des passages de l'un et l'autre mêlés. Mais même si le texte définitif sera remanié, les pièces montées dans un autre ordre, on y reconnaît notamment des passages des chapitres XXV (ff. 1-3), XXVI (ff 4-10) et XXVII (ff 11-15) de Pilote de Guerre ainsi qu'un passage de Citadelle (chap. LX, f. 3). Notre texte se termine à l'avant-dernier chapitre de Pilote de guerre.
Saint-Exupéry y évoque son inquiétude pour ses hommes, la mort, le retour à la base, ses rapports avec le Commandant Alias, l'incendie d'Arras, sa vision rougeoyante de l'horizon et le monde des hommes vu de haut, précédant le chapitre de retour sur le quotidien, avec ses camarades, la guerre et le groupe 2/33. L'élévation spirituelle de ces chapitres importants annonce Citadelle : le partage et l'échange définissent l'homme libre. La figure du fermier (devenue celle de l'Ami dans Citadelle) y revient sans cesse pour défendre, nourrir, écouter et sauver l'Homme et l'humanité.
1/ Quelques passages de Pilote de guerre, dont le texte définitif sera très différent :
Je ne l'appauvrirai pas si je diffère de lui. L'homme de ma civilisation est augmenté par la richesse de l'autre. Qui diffère de lui l'enrichit. Nul ne ressemble à l'autre au groupe 2/33. Et cependant le groupe est un. Ma civilisation absorbe les diversités particulières. (…) Un arbre est un malgré ses racines, son tronc, ses branches et ses fruits. La cathédrale est une malgré ses colonnes, ses vitraux, ses orgues, ses statues. La cathédrale peut absorber (…) jusqu'aux gargouilles les plus grimaçantes dans ses cantiques. Nous n'exigeons pas la renaissance. (Voir Pléiade, II, p. 216).
Mais si ce tas de pierres est cathédrale je ne puis plus expliquer la cathédrale à partir des pierres. Elles n'expliquent ni la méditation ni le silence. La cathédrale est une somme de pierres plus quelque chose, qui est du génie de l'architecture. C'est la cathédrale qui fonde le sens des pierres. Ce ne sont point les pierres qui fondent celui de la cathédrale. (…) Mais pour désigner ce qui était en plus des hommes - ce Dieu dont je (mot manquant) recevoir l'héritage - l'Humanisme n'a disposé que du même mot Homme, un peu embelli par une majuscule. (voir Pléiade, p. II, 220-221).
2/ Passage que l'on retrouvera dans Citadelles :
Un fermier, s'il reçoit quelque vagabond à sa table, l'accepte tel quel… Le chemineau… pose son bâton dans un coin. Un fermier ne lui demandera pas de danser mais il lui fera raconter ses longs cheminements sur les routes. Et le chemineau parlera en ambassadeur d'une patrie garnie de fermiers. Et un fermier, pour le chemineau sera l'ambassadeur du blé. Le chemineau…, qui va de saison en saison… avec le soleil et la terre. Qui accroche le soleil dans la terre… Et du pas des gendarmes qui remet ceci en question. Les gendarmes protègent le fermier - le fermier cependant sauvera dans sa grange à foin le chemineau des gendarmes (A comparer avec Citadelle, II, p. 506 : "L'ami d'abord c'est celui qui ne juge point…, c'est celui qui ouvre sa porte au chemineau, à sa béquille, à son bâton déposé dans un coin et ne lui demande point de danser pour juger sa danse. Et si le chemineau raconte le printemps sur la route du dehors, l'ami est celui qui reçoit en lui le printemps".).
3/ Passages qui n'ont pas été gardés dans les textes édités :
Les autres se sont emparés de ces pierres sans pouvoir. Ils en ont fait un tas de pierres. Ils ont parlé de pouvoir des masses, lequel est nul, et de droit de ses masses. Lequel droit, s'il est droit de la communauté sur l'individu nous est cher - mais que nous rejetons s'il est droit de la masse sur l'homme à travers une morale. Car certes il est intolérable qu'un individu tyrannise la masse - mais tout aussi intolérable que cette même masse écrase un homme. Les autres enfin se sont emparés de ces pierres sans pouvoir et de cette somme ont fait un Etat. (f° 14-15).
Mon égalité était vidée de sens. Les hommes étaient égaux en Dieu car "on est frères en quelque chose, on n'est pas frère tout court". Les pierres sont égales en la cathédrale. L'égalité des pierres ne signifie plus rien s'il n'est rien qui les unisse et en quoi elle se fonde. Ainsi le soldat et le capitaine sont égaux en la nation. Pascal et le soutier étaient égaux en Dieu. Je comprenais clairement pourquoi à la fin il était interdit à Pascal de réduire le soutier en esclavage, pourquoi il lui était évident d'engager au besoin sa vie pour le soutier - et pourquoi cette soumission n'abâtardissait pas Pascal et ne le soumettait pas à la médiocrité du soutier. L'individu dont l'évêque lavait les pieds n'avait pas droit d'exiger pour soi cette prosternation mais Dieu, à travers lui, y avait droit.

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