Commentaire :
Miniaturiste de grand talent, Jean-Urbain Guérin représenta les personnalités les plus en vue de son temps : de Louis XVI et Marie-Antoinette à Joséphine et Napoléon en passant par le général Kléber, ses portraits illustrent le succès de l'artiste qui ne se démentit pas au cours des grands changements historiques de la fin du XVIIIe et du XIXe siècle.
On ne sera guère surpris qu'un artiste travaillant un support aussi précis que la miniature soit également un remarquable dessinateur. Nous connaissons ainsi un certain nombre de portraits dessinés de Jean-Urbain Guérin, de forme ovale et exécutés au crayon noir rehaussé de blanc, la plupart préparatoires à la gravure. Portraiturant ainsi les généraux de la République, Guérin s'intéressa aussi à d'autres personnalités dont celles du monde de la musique. C'est ainsi qu'il réalisa un portrait du chorégraphe et maître de ballet de l'Opéra de Paris Jean-Georges Noverre, que fréquenta Mozart lors de son séjour parisien de 1778 (1) , et le portrait de Wolfgang Amadeus Mozart lui-même, présenté dans cette vacation.
L'illustre compositeur parcourait l'Europe et s'était arrêté en France à deux reprises : l'enfant prodige avait été adulé lors d'un premier séjour parisien entre 1763 et 1766 et avait effectué un second voyage en France en 1778, s'arrêtant à Paris et à Strasbourg. La correspondance fournie de Mozart avec son père nous donne quelques témoignages de son séjour de 1778. Si le compositeur ne se plût guère en France, il suscita une réelle admiration chez les amateurs français, comme Madame de Staël, particulièrement séduite par ses opéras : " De tous les musiciens, peut-être, celui qui a montré le plus d'esprit dans le talent de marier la musique avec les paroles, c'est Mozart. Il fait sentir dans ses opéras […] toutes les gradations des scènes dramatiques, le chant est plein de gaîté, tandis que l'accompagnement bizarre et fort semble indiquer le sujet fantasque et sombre de la pièce. Cette spirituelle alliance du musicien avec le poète donne aussi un genre de plaisir, qui naît de la réflexion, et celui-là n'appartient pas à la sphère merveilleuse des arts (2) "
L'immense postérité de Mozart est à l'origine de la diffusion de son image par de nombreux portraits. Hormis les célèbres aquarelles de Carmontelle, ceux-ci sont plutôt rares chez les artistes français de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Les origines strasbourgeoises de Jean-Urbain Guérin - ville où Mozart avait donné en 1778 des concerts salvés de " force bravos et bravissimos (3) " et dont la situation géographie faisait un lieu d'échanges privilégié entre la France et les Etats allemands - permettent sans doute de comprendre que l'on retrouve les traits du compositeur sous son crayon.
La physionomie de Mozart est caractéristique et permet de le reconnaître au premier coup d'œil : une petite bouche surmontée d'un nez légèrement bossué, des yeux en amande et un vaste front synonyme de génie sous une abondante chevelure nouée dans le cou. L'origine de cette iconographie de Mozart est à rechercher chez deux artistes : Leonhard Posch (1750-1831), auteur de profils en médaillon en bas-relief qui réalisa un portrait de Mozart en 1789 (voir fig. 1), et Johann Joseph Lange (1751-1831), qui peignit en 1789 un portrait inachevé du compositeur (Salzbourg, Mozart-Museen & Archiv) (4) .
Jean-Urbain Guérin s'est certainement inspiré du modèle de Posch, largement diffusé par la gravure. Il l'a cependant revisité en représentant Mozart de trois-quarts et regardant vers le spectateur. La technique du dessinateur est ici remarquable : modelant délicatement les traits du visage, il définit finement la chevelure du compositeur à l'aide de rehauts de blanc, qui contrastent avec le noir profond et velouté de la redingote. Guérin esquisse ici à l'aide d'une gamme allant du blanc au noir un vibrant hommage à l'un des plus grands compositeurs de tous les temps.
Nous remercions le Docteur Christoph Großpietsch du Mozarteum de Salzbourg, auteur du catalogue Mozart-Bilder. Bilder-Mozarts (2013), pour son aide à la rédaction de cette notice.
1. Voir cat. exp. Mozart en France, Paris, Bibliothèque nationale, 1956, p. 31, n° 94
2. Cité par Marc Fumarolli, " Mozart et le Paris de 1778 ", in cat. exp. Mozart à Paris, Paris, musée Carnavalet, 1991-1992, p. 35
3. Lettre de Mozart à son père écrite de Strasbourg le 26 octobre 1778, citée par Albert Sowinski, Histoire de W.A. Mozart d'après la grande biographie de G.-N. de Nissen, Paris, 1869, p. 187
4. Voir Christoph Großpietsch, " "Posch" gegen "Lange" - erst getauscht, dann verwechselt ", in cat. exp. Mozart-Bilder. Bilder-Mozarts, Salzbourg, 2013, p. 39-45 et n° 20 et 27